VOYAGE VOYAGES...
La mer est poésie, les vagues déclament les rimes mélodieuses de l'eau, esquissent l'aurore en camaïeux comme l'oiseau dessine allègrement le vol libre sur le ciel et sous les pannes de nuages pourpres ; elles comblent le rivage. Dans le bleu violacé de la mer matinale, chacune d'elle est cascade, plain-chant, parchemin, cantique à la beauté et au mouvement .
Les nuages et l'horizon racontent une nuit chagrine, pluvieuse, prodigue. Le soleil est encore bas. L'hiver s'illumine lentement, comme un fanal au dond de l'obscurité, et avec lui s'élève toute la munificence de l'onde nacrée ...
Les embruns tremblent comme des cils aux paupières émues, qui soulignent et éclairent le regard profond des vagus avant de se refermer. Et l'écume virginale et chatoyante des vagues caresse la mer étale jusqu'à la grève .
La mer est un univers de vérités et de solitudes où le mensonge et les trahisons ne sont pas de mise .
VOYAGE, Voyage
De la relativité du temps, de l'éternité de l'instant !
L'aventure hauturière est une quête, celle des grands espaces autour du monde, où le temps ne compte plus pour le marin qui évolue dans ses dialogues incessants avec la mer et la terre. Cette osmose est forte dans l'instant vécu ou permanente dans l'épreuve au fil de l'amour de la vie qui navigue, libre d'un port à l'autre, vers le grand large, côtoyant la liberté, les frissons de la vérité et de la loyauté...
La traversée du cycle immuable de la vie irait jusqu'à l'abnégation tutoyer les cieux, chuter dans l'antre infernale de la survie, jusqu'à l'écœurement, jusqu'aux désespoirs et déchoir, qui sait, aux oubliettes de l'obsession. Mais voyager, entrer en résonnances avec les Mondes pour atteindre peut-être l 'inaccessible étoile, rejoindre les enseignements du Berger des hommes, dénoncer et récuser l'envers ou la négation du temps dans la modernité de l'homme-dieu
!
L'aventure mystérieuse de l'art et de l'Amour, le sens dépouillé de la prodigualité et de la nature élèvent et consacrent la passion en l'homme. Il voyage au coeur d'un univers éthéré empli d'incertitudes et de Providence. Une aventure qui confère au temps une relativité aussi surprenante que magique. On aspire au bonheur de vivre, d'exister dans l'accomplissement, le dépassement de soi. Et ces expériences sont si intenses que l'être comblé qui se réalise, parfait ses propensions à la connaissance, existe à l'unisson d'une dimension cosmique, d'un monde visionnaire et fécond ... Le temps n'est plus qu'une abstraction consubstantielle de l'idée d'éternité, de la représentation subjective vaincue de l'existence et d'une conception sublimée de l'objet d'amour. Purifiée et sans entrave, ouverte et universelle, l'esprit s'élève et converge en " un point d'ultimes rencontres " cher à P.Teilhard de Chardin. Un faisceau rayonnant de toutes les énergies de l'amour, de la sagesse, des vertus de la connaissance parvenu à l'échelle de l'humanité au seuil du divin !
Vivre avec son temps n'est-ce pas aussi en disposer et s'inscrire dans l'ère-air- l'erre d'un temps humain, en l'harmonie avec le règne de l'Etant, au diapason du pouls de la nature, de la Terre, de la respiration de la Mer ; au gré de ces évidences intemporelles, irréfutables, le pélerin voyage sans frontières....
Une aventure de longue date préparée rivaliserait avec quelques minutes d'extases inoubliables où se coudoient les hasards de l'existence, notre histoire et toute l'alchimie du vivant immédiate ou pérenne. L'existence n'est que destinations, rencontres, voyages. Elle accorde à la matière ces excursions géographiques mais elle ose aussi mille partances sur le grand vaisseau de l'esprit, de l'âme qui abolit les limites et ignore les lointains. L'esprit, l'âme, le verbe, en prise directe avec le réel, désenclavent le dogme, libèrent la pensée en chaque individualité agissante. L'esprit appareille et gagne tous les horizons, découvre et s'enrichit de la diversité, des symboles et des mythes de l'existence, de l'immense variété culturelle des mondes ; il se charge d'engendrer le fil et le sens de notre unique séjour.
Ainsi, il n'est pas utopique de se fondre dans le cours du temps et qui sait d'en commander quelques issues éclairées à des fins de bonté et de compassion, de charité ?
L'esprit, une dominante qui s'élance alors vers les sommets futurs, s'immerge dans les abysses du passé, visite les référents à des expériences heureuses ou malheureuses, sollicite et rappelle notre mémoire affective, émotive ...
..." Souffle sur moi, Sagesse, quand grondent en moi les cataractes des temps anciens..."
"... Je vivrai ouvert à la mer, mère nourricière de l' Esprit ..." aimait à dire
Léopold Sédar Senghor dans Poèmes - Élégies des Alizés -
Vivre ne serait alors plus ce voyage où nous aurions mal rêvé ! J'ose cette antithèse d'un vers de L. Aragon !
Les années filent comme l'éclair mais un jour, une heure, quelques minutes ou une seconde atteignent des cimes et caracolent parfois près de l'éternité .
La vie serait-elle l'odyssée définitive où l'instant forge la durée ? passée, présente ou à venir, la durée cadre ou fige le temps. L'oubli comme le mirage et la conscience d'être arpentent le cours de l'existence et des époques si vite écoulées de notre destinée ... Évoquer ou rendre compte de cette dialectique du temps et de l'instant comme réalités rémanentes, immanentes n'est pas un exercice aisé, on voudra bien m'excuser ces approximations et ces pensées fragiles et si modestes.
Être ? étrange et obsédante perception de l'existence sans fond ni fin, emmené à bord des carcans de la raison...!
Conscience de l'éternel où l'âme s'approprie au-delà de l'âge l'évocation du souvenir et celle de l'espérance, de plus en plus à l'aise entre l'aube et la fin des temps. Ainsi s'élève la pensée qui conçoit et conquiert l'espace-temps comme une dimension incommensurable et que la révélation consent à lui octroyer.
Exister équivaudrait-il à embrasser l'univers hors de la dimension spatio-temporelle du cycle naturel et limité de la vie !
Un homme incarnerait-il la conscience universelle, oscillerait-il entre les deux pôles de l'humanité et de cette décimale infinitésimale de l'être individuel égaré dans le cosmos, balbutiant quelques illusions d'univers. Pourrait-on concevoir une créature informationnelle, ce complexe génétique fait d'inné et d'acquis, un être allèle en perpétuel devenir, immortel recelant la mémoire des mondes ? vertiges ! et pourtant, la connaissance, la lumière des Arts et de l'Histoire des siècles y pourvoirait ...
" Plus je regarde et plus je réfléchis, plus je ne vois aucune autre issue à la pensée et à l'action que la foi obscure en la marche de la Pensée (de l'Esprit, si vous voulez). Laquelle est une puissance insatiable et dévastatrice de tout ce qui a fait son temps."
Pierre Teilhard de Chardin.
Lettre à Max et Simone Begouën, janvier 1929
La vie s'écoule et ne revient pas mais l'âge ouvre aussi les portes et les couloirs du temps jusque là obstrués, encombrés, comme s'il devait en ralentir le cours, se diversifier et s'enrichir enfin, sursauts généreux au crépuscule d'une jeunesse, consolations, à l'aube du déclin de l'être, du grand départ. Ces Galeries de glaces que le Temps nous accorde nous renvoient à la Beauté, à l'essence, à l 'émotion, à l 'amour. S'accrocherait - on à la vie - trop tard - avant cet état du néant.
Serions-nous aptes à connaître, à comprendre, à accepter le cheminement de la pensée au fil du temps et des valeurs essentielles que la vie nous renvoie ?
Ainsi s'égare ou se complait la conscience dans les dédales et le labyrinthe du temps pour que la vie devienne ce que nous en faisons, éclairée, guidée, sensée, aimée mais aussi déterminée. Pourrions-nous en apprivoiser ou en pénétrer plus profondément les méandres et les caprices. Serions-nous capables d'araser irrévocablement et si différemment les épisodes tracés de l'existence par la seule force de l'esprit et du verbe traduits en devenir d'actions fertiles sur le vivant ?
A l'heure du trépas, fût-il naturel et tardif où prématuré, subit, entre l'accident et la fin de vie choisie, risquée, reverrons-nous peut-être le cours du vivant, conscient du pas imminent à franchir et, sur le point de non retour, d'appartenir en un éclair foudroyant à l'éternité, commune et partagée, libéré du carcan du temps. Un seul instant suffit à dire l'éternité !
2 ème Ecriture le 15.03.2012