UN SILLAGE DEVANT SOI...
Les jours sont fluides et leurs flots, d'encre ! Des éclats d'instants se dispersent en rameaux d'étoiles, qui s'invitent sur l'océan comme mille phares doublés au large de la terre et de l'adieu.
En chaque lame bat un coeur d'espérance, s'élève un poudroiement d'arc-en-ciel liant la mer au firmament. Je parcours ces secondes qui inondent et ravissent à l'infini l'ivresse grandissante qui m'habite alors que je viens de rompre enfin les chaînes et les amarres de l'impossible .
Un marin et son bateau dessinent allègrement le sillage et les desseins de la liberté abreuvent le sillon fécond d'un grand amour.... Ce désert de dunes mouvantes n'est que métamorphoses, exaltations de l'oiseau voyageur, migrations aux confins de l'aventure des anges. On y décèle au-delà de la course et des titres tous les signes convenus du ciel et de la mer.
Des jours et des heures dépeuplés composent leur symphonie ; ils accompagnent le marin et le voilier dans la langueur palpable de la solitude et du silence. Et tout l'univers danse sur l'onde avec ses voiles d'hyménée ou brandit la pantomyme macabre des flots déchaînés.
Le temps s'égare sur la longue route, fouille les souvenirs emplis d'immensité. Un temps virginal, essentiel où les ciels en liesse s'offrent et se déchirent inlassablement. Ses invites aussi à durer lors des bordées profondes et obscures qui risquent la survie... Un temps qui court la destinée immuable et que l'étrave toise au fil des milliers de milles .
Alors, l'écume des vagues et les crêtes blanches soufflées par les bourrasques s'abattent sous le vent en pétillements de joie, en chantonnements d'embruns, nouant leurs gerbes déraisonnables, indéfectiblement, toutes les pensées dans l'adoration de la mer.
Un esquif et la mer se sont réconciliés, comme deux moitiés d'êtres maintenant réunies, voguant à l'unisson des vents bleu-nuit dans le balancement et les clartés du grand large...
Les vagues sont pesantes, elles gardent en choeur, le pouls scandé et dolent des longues houles solitaires. Auréolées d'ocre et de pourpre aux lueurs vespérales, aux pastels rosés de l'aube, elles consomment l'adieu, tant de récits silencieux mornes et euphoriques.
Les latitudes égrènent leurs jours de mer. Elles ne s'improvisent pas mais se méritent avec force rigueur. Au fond du regard lorsqu'elles s'en reviennent comme une délivrance et l'alizé. Puis l'exocet et la coryphène, les reflets chatoyants des Tropiques, les latitudes comme les saisons me manquent déjà ...
La haute mer frise à chaque risée, irisée. Ses longues pentes courent telles d'interminables caresses évoquer l'île lointaine, un souhait, l'espoir. Le vent frais passe, laisse en poupe les litanies plaintives de la dernière ou de l'ultime traversée, un chant d'esclaves infortunés qui ne reviendront jamais plus...
La mer immémoriale y a gravé tant de sillages et d'horizons. Il y dérive toujours l'âme des pélerins, des aventuriers. Elle aura épargné et recueilli le malheur, miséricordieuse, en quelques fragments d'îlots à la traîne de l' engeance cruelle des dominateurs, des conquistadors...
Et la mer berce encore ces folies de marins, tant d'étreintes, en ravive les déchirures et les séparations. L'océan romance au fil d' interminables fugues les joies d'une rencontre hasardeuse comme il débonde son vaste choeur de chagrins abandonnés aux vents gris et à l'eau secrète.
Un immense sillage, pour comparaître devant l'éternel, dévoiler l'abstraction, l'illusion, la fuite ou les refuges du temps. Les saisons défilent et s'en retournent à leur guise comme des promesses choyées que les voiles libres du marin choisisent et espèrent, s'offrant aussi et parfois, à satiété les parfums et la candeur des contrées vierges et douces.
On y oublie paraît-il la longue liturgie des mois sombres, celles des incessants frimas de l'âme, les rudesses et les réclusions de l'hiver,
quand le grand large ne devient pas le théâtre sillonné, la scène aveugle et muette des actes et des combats perdus d'avance, où grondent, ubiquistes, la mémoire sanglante, les accrocs et les avanies de l'humanité.
L'existence est un vaisseau qui tosse parfois lourdement. Un vaisseau qui souffre aux rappels de la chute incessante, malmené sous des ciels d'acier. Et au gré des humeurs, de l'erre de chaque époque, il finira de divaguer sur la terre étrangère, profondément scellé à l'estran perpétuel de la modernité.
Le vent hurle dans les haubans, les nuages pleurent entre les rais du soleil ; l'oracle est au rappel douloureux des sirènes et du départ. La scène océane ouvre le fossé brutal de l'impossible retour. Et la mer se couvre aussitôt d'ecchymoses, de blessures béantes, de lourds sanglots...
Le sillage est au regard languide, aveugle ce que la mélancolie est au rêveur !
Dans la tempête glauque, chaotique, le voilier rudoyé danse. Il ose, il risque le ballet radieux et cruel de la houle fumante et des violentes rafales ; il suit la voie lumineuse des cieux au milieu de l'ordre immuable des éléments. Improbable accord ou pointe le sentiment rare d'exister, de vaciller, de côtoyer l'harmonie et la complétude des mondes.
La multitude phosphorescente anime les flots sous le dais lactescent de la nuit marine. Un matelot, dans la clameur unitive et inaudible de l'être, uniment, offre sa vie en partage ... Les éléments lui insufflent une force mystérieuse et sacrée, qui signe comme elle dépasse la contrainte pesante des nécessités immédiates, des illusions passagères. Un sentiment indicible de grandeur, d'insignifiance et d'absurde s'empare de l'odysée, de l'empire des mers à vaincre !
Instants magiques à contempler de l'étambot où se dissolvent les certitudes, où caracolent les confessions de la mer parcourue, de la mer caressée, effleurée, aimée jusqu'à l'isolement, au bord du néant ?
Un sillage s'est perdu, une voie d'eau s'abîme pour consacrer ce désert de promission et de générosité. Le monde du silence offert et sans écho. Un dédale de vastités enclin à susurrer d'émouvantes réminiscences, à octroyer ses candeurs dans la communion apaisante des larmes de verre et du beaupré. Les vagues et une voile y auront esquissé l'aube d'un amour infini, la mémoire de l'humain, l'ébauche d'un prénom ...
A la frontière simultanée du temps parcouru et des horizons affranchis, dans la valse des distances que le matelot mène et éprouve, le sillage et le cap au coeur de la mer totale sont à marier.
Guide en ce monde originel et mouvant, engrangeant une multitude de trajectoires, le marin poursuit sa route fidèle au dessein tangible et loyal d'une partition éthérée. Il est du fruit de l'air et du flot. C'est une quête fidèle, la vie cheminant comme un étourdissant baiser, quand plane au-dessus de la rime océane les philtres envoûtants d'une infime mais très belle poésie de la mer, de l'amour de l'océan. Comment ne pas implorer et louer la quiétude du retour, l'aménité d'un port, l'unique infidélité que le marin fait au sillage en touchant terre sans jamais démériter !
Le sillage imprime sur l'océan les élans de son cœur. L'étrave en est l'artisan complice. La coque essaime ses desseins vagabonds, nobles et exaltés. Il n'est au terme du regard qu'images et pensées vaporeuses, battements d'ailes qui dansent derrière l'horizon. Compagnon et ami du marin, en la foi qui le convie à l'erance, le sillage est indissociable du périple. Il le fonde et le bâtit, jour après jour. Le sillage comme un conte de faits merveilleux à jamais engloutis, à toujours revenus, lancinants, glane l'existence à vau l'eau
2 ème Ecriture le 22 Mai 2011