DERELICTIONS, A JEAN...
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(...) Le désespoir est une forme supérieure de la critique. Pour le moment, nous l'appellerons "bonheur", les mots que vous employez n'étant plus " les mots" mais une sorte de conduit à travers lequel les analphabètes se font bonne conscience. Mais...
la solitude... Léo FERRE
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Des rafales de vent
froides et bleues pour seules compagnes
Le firmament limpide, où des nuages ouatés signent l’adieu
Dans les franges éthérées d'une nuée de jours défunts
Sur la mer, déraciné,
dépossédé, je poursuis un visage
Un signe, un présage, qui
sait, l’au-delà et ses fulgurations
J’ai tant souffert, au large
Le deuil vivant d’un
père et la confrontation
Pleuré l’absence d’une mère
L’essence des années dévalées
Au fond des saisons exsangues
D'un puits tari et saumâtre
J’ai vécu la souffrance d’un frère blessé
Les aléas, les coups durs aux élans de sa vie
Je me suis rebellé face à
l’agonie exilée
Lente et folle d’un autre
frère, aîné
Je ne l’ai jamais acceptée ni comprise
Mes jeunes années ont côtoyé la maladie
L'inique déliquescence d'une mère si tôt enlevée
Et j’assiste aujourd’hui
au départ incontournable
De cet être que l'on
appelait tous les trois « Papa »
Au grand départ de cet autre
moi-même
Que j’ai craint, affronté et fui
Sans jamais pouvoir l'aimer d'innocences
Que je cherche toujours, en vain
A côté d'un tombeau, désespérément
Je l'ai délibérément laissé dans un monde de certitudes d'adultes
Aux néants
D'une vie de fonctions et d'horaires, d'honoraires
Je suis dans cette tragédie amoindri, le seul rescapé
J'ai cru en la séparation, au moindre mal
Je suis parti, je me suis effacé...
Alors, j’ai confié aux flots
glacés une pensée fleurie
Quelques bribes parfumées cueillies au printemps
Plus belles que toutes
les couronnes réunies
Et je divague, sans
componction ni commisération
Sur une terre de peines et de tourments
Trop jolie, si farouche, les hommes l'ont pour cela avilie
Je connais la sentence des autres lendemains
Embusqués dans le défilé et l'enclave de mes jours
A retrancher du sablier
Dans ce que certains
parvenus nomment
Niaisement, avec suffisance
« son petit monde » !
Je dérade sans d’autres
issues que les arcanes noires
D’un décor désespérément
voué à la déchirure, aux conflits
A ces atavismes trop humains, tellement quotidiens
Qui n'ont de cesse d'arriver
Les oiseaux de mer sont
là, réconfortants,
Ils suivent un chagrin, un sillon de profondes afflictions
Humble et étouffées,
que la bise emporte
Une fratrie de Puffins joyeux gravent dans le ciel
L’allégresse aux desseins doux
D'ailes blanches et
immaculées,
Chantent la liberté, la résurrection
L’instant de bonheur léger qui essuiera mes larmes
D'un cillement d'ailes d'ange
Quand s'élèveront comme un plain-chant
Aux espérances mortes, dans la froidure d'une averse
Kyrie Eleison, Miserere
Quand, de l'arbre de vie étiolé s'envolera
Un songe de ramure et de racines
Maintenant dispersées, si ténues
Que d'autres petites mains tendues lâcheront
Balbutiant une langue morte et des mots écartelés
Aux chants creux et passagers des écoles
Les bourrasques ont imploré le terme de la longue nuit
Qui battent et martèlent le glas
Toutes les larmes aux carreaux des chagrins embués
L’orgueil morne, tenace et tant de clochers
Sur les pentes glauques
et mouvantes de la déréliction
Dans l’absinthe de ma passion, de mes délires
Aux confins de ma concupiscence, solitaire
Promptes à dicter des voies insensées
J'ai sillonné le chasme qui éventre le verbe et fausse les actes
A travers les vastes
plaines de la tristesse et de l’indifférence
J’ai abîmé mes peines et
noyé mes blessures
Passées ou futures, elles
reviennent comme les jours décomptés
Conquérantes et sans
concessions pour l’être qui trompera le mot
Mais je sais aussi qu’il
existe des mondes
Qui habillent et festonne le temps, réchauffe les hivers
Rafraîchissent les étés
Meublent les foyers du cri toujours joyeux des enfants
Et s'égaient d'attentes tendres, sans promesses oubliées
La mort afflige, atterre,
meurtrit
Mais elle est aussi un
recueil de merveilleux souvenirs
A partager ensemble dans la douleur au jour de toute fin
Autour de tous les liens d'une grande fresque
D'une quête prodigue, féconde et unitive
Noueuse comme un pied de vigne
Et c'est un éternel recommencement
Une espérance fraternelle
Afin que triomphent
encore et toujours
La vie et le cœur
Que cesse le mensonge, le verbe lapidé
Faussement compassés
L’horizon triste, l’immensité dépeuplée
Vêtus de pourpres
Ont entonné l’oraison, le rituel inévitable
De toute une enfance qui sanglote
De la maladie aux décours esseulés, aliénés
Sur un océan de larmes délaissés, piétinées
J’en garde l’amère et la
profonde meurtrissure
C'est avec l’encre noire des flots confondus
Comme une missive à la
mère perdue
Que je trace sous le
vent d'une fracture
D’insignifiantes déambulations
Que s’élèvent l’embrun, pensée de mon âme
Chaque matin, que fait un voyage à peupler, à espérer
Que déferlent enfin
quelques baves d’écume
Aux vertus apaisantes et cathartiques
Les vagues ne sont-elles
pas des encensoirs
Dans le seul temple de la nature aux vérités dépouillées
Qui se balancent et inondent
La terre des hommes endeuillés
Dans la pureté, la magnificence d'un amour lustral
Un jour grave s’est affranchi de l’éternité, un instant lui a suffit
Il participe à la funeste
liturgie des faux pas d'ici-bas
A chaque naissance, en
toute absence,
Dans la douleur ou de fausses joies
De l'existence qui n'est que contraires et luttes torpides
Je ne conçois que dans les cieux, la nef et son office sacré
Je sais aussi la mer miséricordieuse et bonne
Au bout de la longue
litanie des vents et des marées
Je me retrouve seul, déjà
suicidé, et je me débats
Ces deux mondes fondent
et nourrissent mon ipséité
Je n’ai plus de port, là est mon sort,
Au large dérivent mes torts aux amarres brisées
En guise d’ancre, je ne
possède qu’un corps
Cet unique vaisseau presque submergé
Avant que d'être à fendre, vermoulu
Qui m’emmène enfin au bord de
l’esprit,
Et que je traîne toujours plus près de la mort
Dans le silence sidéral
des cathédrales d’eau
Tout près de l’antre caverneuse
De la crypte viride, rocheuse
Je me blottis dans le
linceul écumeux
Que toute lame délaisse
sur la grève
Comme un souvenir
Qui me raccroche, impavide,
A ces thébaïdes égarées, insouciant
La vie s'entoure de maladresses, dresse ses pièges
Elle y détruit un à un mes beaux rêves,
Que je m'efforce de bâtir chaque jour
A chaque croissant de lune
Comme un grand amour
Le château de sable s'effondre sur l'île noire
Avec une maison de pierres, obscure
Où les courants d'air de la discorde
Claquent encore les portes d'un enfer
Aux mânes qui lentement se rejoignent
Revenants de l'exil, du froid et des Tropiques
Qui un à un déambulent
Se croisent sans se voir dans les combes béantes
Entre les murs sombres de la déréliction
Ils conduisent mystérieusement nos pas,
Après la mort, inéluctablement
Au bord de chacune de nos tombes
De ces fondations à jamais enterrées
Depuis ma plus tendre enfance...
Alors, on comprendra
Qu'entre la vigne vierge et le figuier
Le parvis et les stalles polies
De la petite église d'un village qui
vacille
A l'ubac couvert d'ombres et de caveaux
En ce jour de printemps tiède et figé
Je demeure résolument absent
Que je craigne et je que redoute
L'homélie condescendante et louangeuse
L'usage social aux côtés de la foule
informe
Un sermon élevé aux grandeurs
Aux servitudes et honneurs
Consentis aux empires, glanés aux pauvres
colonies
Là où le change s'avérait juteux
Voilà que je n'entends déjà plus l'histoire mutilée
De ces trois frères brinquebalés
Qui raisonne dans la conque et le foyer brisés
Par tant d'années et de consciences
D'égards dévolus aux Énarques
...
Je reviens de l'errance, j' émerge de
l'angoisse
Je paie un lourd tribut aux déracinements
Je contourne comme l'eau
Une destinée qui nous a accablés
Mortellement désunis
J'en ai pesé le lourd fardeau, chaque mot
Avant d'entreprendre la dernière traversée
Vers l'autre rive
Affligé derrière les meurtrières aveugles
De l'irrévocable vide
Je laisserai au sort, aux mois des années
Le soin de fleurir toutes ces tombes
Et comme la mer, j'abreuverai les rochers
De mes larmes amères...
Tu vois, Papa, nous sommes venus
Te rejoindre, à cette heure matutinale
Quand s'est dissout l'encens des vallées et de la nuit
Il y a sur la pointe de Saint Jean une petite chapelle
Oubliée, sur l'estran, auréolée de flots
En ces heures lénitives, nous avons partagé
Des pensées étranges, numineuses
La brise a joué de vieux airs de viole
Au-dessus de l'abside, de l'autel tumulaire
Entre les murs arasés et béants, baignés des cieux
Je me suis agenouillé pour te confier
Le faix des années, du remord et des regrets
D'un dictamen effondré et de la déréliction
J'ai posé ma joue sur la pierre rêche et grenue
J'ai interrogé le temps, l'éternité, l'au-delà
Je t'ai demandé de me soulager
De me pardonner, le feras-tu?
Et de la demeure des bienheureux, où tu te trouves
C'est en chacun de nous que tu as laissé couler la peine
C'est en chacun de nous que ta parole s'est enfin déliée
J'entends ta voix, Papa!
C'est drôle, mais les mots déferlent
Sur les voiles blanches des vagues
Et l' aile cernée de l'oiseau
Tu nous dis que la mort
Est bien cet état d'où le corps ne revient pas
Mais que le silence et l'absence
Sont un autre monde indicible
Celui des pensées qui traversent les âges
La roche et le flot
Où des souvenirs, toujours s'y promèneront
Gais ou tristes, peuplés d'amertume, qu'importe!
De là-haut, ils sont ces fruits et ces semailles
A cueillir à l'arbre de vie
A répandre à d'autres printemps
Que les marins n'ont jamais le cœur à marée basse
Que c'est avec le flot qu'il faut appareiller sans oublier
Que le silence et l'absence seront toujours du voyage
Ils gardent leurs deux bras ouverts et tendus
Comme les deux mâts au même voilier
Vers l'amour que l'on ne voit parfois jamais
à deux pas de la maison
Signant un autre départ, une arrivée
Au même port
Tu me rassures, tu me confirmes aussi
Que l'existence s'écrit à l'encre rouge, au bistre
Ces teintes du jour ou de la nuit
Comme un livre unique, aux pages sacrées
Qu'un enfant, que l'humanité découvre et feuillète
Aux pas précipités du temps qui s'enfuie et se cache
Mais qu'il faut toujours relier
Au berceau de l'amour
Des plus belles enluminures.
Papa,
Un monde de rêves et de songes
Je verrais bien une rivière emplie
de mots fluides
Submergeant une âme étendue
Du flot amène des souvenirs
Un temple, illuminé comme un dernier
sommeil
Un îlot d’espérances, une
révélation
A l’orée de deux mondes à franchir
Au cœur de l’épuisement, de la sagesse
Présent indéfectible de toute fin terrestre
Et si tu avais délivré, en toi
Un
torrent de bontés
Coulant à flot, qui
dévale maintenant, prodigue
De ces heures sombres
oubliées, déjà pardonnées
Vers tant de vérités bousculées
A bord de ta destinée partagée
Tu évoquai un tumulte de
pensées déferlées, furtives
A graver, à écrire mais insaisissables
Unitives comme la foi
Sitôt oubliées au x
heures contraintes du jour
Ils vont par milliers ces
ruisseaux
D’eau de roche si claire
Que la pierre toujours
purifie et conduit
Ils envahissent les cimes et les
versants des monts
Exultant en fleurs écloses
et parfumées
Tout autour de toi, dans
les champs de Mai
En ce dernier printemps
envolé
Ne rejoignent-ils pas un
océan d’amour traversé
Contenu dans nos silences,
l’absence,
Et quelques oublis osés,
disséminés
Pourquoi gravir l'absolu
Aux extrêmes de l’âme,
insupportable ?
Sommes – nous ces deux
pèlerins emportés
Pour atteindre, trop tard, le
même port ?
J’ai mal à ces mots
enfouis et plus encore
A tous ces liens qui
désormais ne seront plus
A toutes ces volontés à
jamais brisées
Qui s’amenuisent aux barreaux de l’existence
Qui appareillent vers l'au-delà...
N’ai-je pas choisi une voie difficile
Ne me suis-je pas trompé en cette heure fatale
Vaincue, si près d’un idéal
Sans
lendemains immédiats
Que la vie d’ici-bas foule de ses faux-pas ?
Fais-moi un signe, réponds-moi!
Du faîte de la vieille
bâtisse
La pluie ruissèle en pleurs
Et serpente entre des
mots de pierre, disjoints
Enchâssés comme la nuit
obscure, muets
Et chaque pierre de la
maison ancestrale
Lance aux montagnes, aux éperons incarnats
Un regard mouillé de
larmes
Triste aux jours hagards
du temps perdu
De ces regards caverneux
Qui creusent la détresse, le désarroi
Du fond de leur béance
Immense d’âme et de
chagrins
Que la vaste mer n’accueillera plus
Déréliction, repentance, contrition
Je vous côtoie sur l'onde
Au fil du bois, des couleurs
Que tu aimais à animer
Tout seul, au plus profond de ta retraite...
Papa,
Les blés germent - ils et
s’élèvent en épis?
Dansant en images
d’abondance et de pains mordorés
Aux couleurs de l’automne
et des soirées d’antan
La vie a si vite passée
dans les champs moissonnés,
Je l’ai laissée filer entre les doigts
Elle
s’est enfuie, auréolée de bleu
Dans une frénésie d’actes
dispersés
A l’orée de tous ces mots
agités,
Ignorant les méandres paisibles de la pensée
Tout près du chêne et de
l’érable en paix
De mes racines, à l’abri
de la frondaison
L’eau, les larmes, le
fleuve de la vie
Ont rejoint la mer et le zéphyr
Aux cœurs des rimes de l'écume
Et les vagues intumescentes, gonflées des flots chagrinés
Se partagent la joie et la peine
Puissent-elles briser
toutes les amarres
Déchaîner ces ancres
arrimées, aux deuils consentis
Cinglant si loin du chemin, de la repentance
Pour bâtir, et emplir
enfin le gouffre
De toutes nos absences
ressuscitées
Je redoute et je pleure
cet univers de dérélictions
Je vois le naufrage, les
bordées de la conscience
Face contre Pierre, elle y bat
sa coulpe, ses limites
Mais aussi un tableau, une fresque qui me troublent
Au loin une porte qui
s’ouvre en notre humble confiance
Dans les cieux et tout
autour de nous
Dans le ballet des jours
et des lendemains
On y fête l’intarissable
partage de la vie mourante
Et chaque départ vers de
nouvelles naissances
Là où partir ne semble
plus avoir aucun sens
Comme une dénégation du
temps, de l'espace
L’inestimable trésor de l’âme universelle
A travers tous les âges d'un seul vivant...
A Papa, à Toi, à nous, à cette terrible traversée d'adultes
Sur des esquifs dispersés
Qui nous a éloigné trop souvent des rivages
De l'amour et du partage!
Ô mon Dieu!
Que les Îles sont belles
Que les Îles sont tristes
A la Saint Jean
Que nous ne fêtions jamais!
Ton Fils, Cristian
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" On ne peut ouvrir la région des ombres qu'avec le rameau d'or et il faut une jeune main pour le cueillir "
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François-René de Chateaubriand
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