LE MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE
Le médiateur de la République, bientôt remplacé par un "Défenseur des droits", dresse un sombre tableau de l'état de la société française, dans un dernier rapport annuel à la tonalité exceptionnellement politique. Lire la suite l'article
L'institution du médiateur de la République a été créée en 1973 pour évaluer les relations entre les Français et leurs administrations et services publics, et pour tenter d'en corriger les dysfonctionnements les plus criants.
"Notre société est fracturée mais jamais cette réalité n'a été aussi aiguë", écrit Jean-Paul Delevoye en introduction de son rapport remis mardi au président Nicolas Sarkozy.
Il perçoit un sentiment d'injustice "mêlant angoisse et rancœur, prêt à se déverser dans les pires exutoires".
Pour l'ancien ministre RPR (ancêtre de l'UMP) et ancien président de l'Association des maires de France, le premier fossé entre les citoyens et l'État est celui creusé par une législation d'une complexité croissante.
La conséquence, écrit-il, en est que "les administrés méconnaissent leurs droits, en mesurent mal la portée et ont souvent du mal à les respecter".
Face à eux, les fonctionnaires peinent à appliquer la loi et à comprendre la finalité de leurs actions, se considèrent comme de simples pions dans un système qui les dépasse et leur impose sa force d'inertie, et cèdent à la tentation d'une application des textes "plus formelle qu'humaine", poursuit le médiateur.
"Cette rupture est accentuée par l'agressivité ou la violence, qui prennent peu à peu le pas sur le respect de l'autre", souligne Jean-Paul Delevoye.
S'y ajoute, selon lui, l'impression pour le citoyen d'être "ballotté" par d'incessants changements censés l'avantager mais qui lui semblent toujours à son détriment.
Il estime ainsi que la réorganisation d'Électricité et de Gaz de France (EDF, GDF) au nom de l'ouverture à la concurrence a débouché pour l'usager sur "un recul qualitatif de l'offre de services", voire sur des préjudices.
CULTURE DE LA PERFORMANCE
"L'impact de la crise est venu aggraver la situation, accroissant le contraste entre la richesse collective de la France et la situation des moins favorisés", ajoute-t-il.
"Jamais le risque de basculer dans la précarité n'a semblé si grand à autant de nos concitoyens."
Face à cette détresse, l'efficacité des politiques de solidarité décline, au point même d'infliger des blessures supplémentaires, déplore Jean-Paul Delevoye.
Il montre aussi du doigt les excès de politiques qu'il juge au demeurant nécessaires, comme la lutte contre la fraude.
Le durcissement du régime de la preuve peut ainsi placer des "honnêtes gens" en position de "présumés coupables", écrit le médiateur, pour qui "il n'est pas possible de vivre dans un système où l'administré fait figure d'éternel suspect".
Il déplore une "distorsion de plus en plus marquée entre la réalité vécue par les administrés et le reflet qu'en donnent les multiples indicateurs" utilisés par l'État, égratignant au passage une culture du résultat chère à Nicolas Sarkozy.
"Imprégner l'ensemble de la sphère publique de la culture de la performance, pourquoi pas ?", écrit Jean-Paul Delevoye. "Encore faudrait-il que ces indicateurs soient pertinents et n'aient pas pour seule finalité de satisfaire une hiérarchie ou de servir de faire valoir médiatique."
Alors que l'excellence et l'exemplarité de l'action et des acteurs publics sont seuls susceptibles de reconstruire une confiance "qui fait aujourd'hui tant défaut", le politique "peine à convaincre de son impartialité", estime-t-il encore.
Quant à la rationalisation des administrations, elle a par trop tendance, selon lui, à se traduire par une standardisation des réponses et un traitement de masse des dossiers, alors que les usagers sont en quête de traitements plus personnalisés.
A contre-courant de la tendance actuelle de l'exécutif, il invite les pouvoirs publics à se garder de la précipitation dans la réorganisation des services publics.
En 2009, le nombre d'affaires transmises au médiateur de la République a augmenté de 16 % par rapport à 2008, avec un total de 76.286 affaires reçues et 43.481 traitées.
Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse