SOLITAIRE A NOËL
Le temps est froid, couvert, la visibilité réduite sous grains est une angoisse ; le soleil ne me concédera aucun rayon de chaleur. Une météo qui est aussi aux nuages et à la bruine. Le Vent de Noroît souffle, cingle en fortes rafales, brutal ; puis il mollit après ces épisodes glacés de pluie fine ou de neige pulvérisée. Ne dit-on pas que : " petite pluie abat grand vent " ! Je sens l'onglée me gagner petit à petit, douloureuse, une étreinte sans commisération ... Puis elle reprend à nouveau, éprouvante, intraitable ! Plus au Sud, le Suroît a régné toute la nuit et le jour passé, remontant de l'océan un interminable cortège d'ondes messagères. Les montagnes ondées sont encore plus hautes que les cieux, les nuées les ont écimées; au-dessus des rivages, elles se dressent comme des remparts sombres et colossaux.
La mer a pris ses accents de tempêtes lointaines, grisâtre vers l'horizon, verdâtre et viride dans les vagues où lorsque des lames de toutes beautés brisent la surface inlassablement retissue de l'eau en confondant avec le plus bel azur ; elle inonde les rives secrètes et silencieuses, un univers de songes et de souhaits sans fin.
Les nuages bas persistent, l'air est lourd, le moindre souffle appose sur la joue une main glacée. Ils pèsent sur l'étendue des flots, noirs comme la nuit. La houle s'en ressent et gonfle à la côte, accuse d'étonnants revirements, accourt et gonfle aux bras que la terre lui tend. Il me semble parfois osciller ou flotter dans l'air, au-dessus d'une nacelle transparente, au gré du lent et profond balancement de la marée d'un coup de vent d'hiver .
Tous mes repères habituels vacillent ; c'est mieux ainsi ! je ne les reconnais qu'après un effort prolongé et, je me situe péniblement dans le clair-obscur de ce jour esseulé. Et c'est quand je parviens à la source de la pente, avant de choisir le moment du départ redouté et pour une chute vertigineuse et feutrée que je considère gravement l'enjeu de la mise : exister ...
Il faut voir, regarder, nourrir et assouvir tous ses sens pour que l'âme rejoigne promptement, au-delà de toute interrogation, la certitude fragile de survivre... Se décider, oui ! et surtout ne pas douter, faire comme si on osait ne pas douter... Ce pas de deux doit être heureux ou ne pas être ; il sera de la volonté et de la demeure des dieux, il se mérite au-dessus de la roche, de l'émulsion, de l'incertitude, du tumulte !
Emmené avec tout l'élan de la mer, me mêlant à ses troupeaux hippogriffes lancés à toute allure, c'est l'accélération, le galop effréné des licornes de l'azur qu'il faut tenir. Le vent redouble de force, contraint à s'appuyer contre le mur translucide qui se hisse haut, il forcit ; voilà que nous rivalisons de vélocité. La glisse s'affole, bruissante, l'esquif dévale, ricoche et mes muscles se tendent, souplement, pour garder de dérisoires appuis sur l'onde, effleurant une nappe d'air qui consent à tenir, à river l'amorce de la longue courbe, prudente et ample ! A ce moment seulement, je sens l'accroc, la marche hasardeuse de la traîtrise, de l'infidélité ; je la reconnais, ensemble, nous la déjouons et un chœur étouffé bat la chamade dans un poudroiement de ciels écumeux !
Ne pas chuter, surtout ne pas tomber, là, tout seul, aux prises avec ces tonnes d'eau implacables, sous ces remparts fluides et félins aussi beaux qu'insensibles et si féroces ! Ô Vague, je ne t'en voudrais pas, certainement pas, va, termine ta course en la noble apothéose ; il ne tient qu'à moi, pas d'excuse, veux-tu ! Je n'ai de présence, en ce moment, que le timbre reclus de ces mots à grand-peine fredonnés dans l'antre et la crypte de tous les silences patients.
C'est un endroit que je connais si bien, que je parcours souvent. Mais aujourd'hui, je le découvre toujours et encore... Le temps et sa saison en ont décidé tout autrement, à leur guise et je compose - l'osmose...
Je ne maîtrise plus rien mais je tiens à y être. A chaque odyssée, ces sites me livrent un lot modeste, une once de confiance humble que je mise à nouveau à chaque récidive, comme un rebelle, un révolté, un con-vaincu que l'âge prosterne à leurs pieds.
Indicible splendeur, insoutenables appas, envoûtants attraits ! J'aime à parier les jours que je rêve et non ceux que l'on m'inflige au plus profond de la bassesse et des cloaques. Je ne reconnais de maîtres qu'en la loyauté, la franchise et la droiture. Ici, il n'y a rien, que le dépouillement de l'onde virginale et ses gifles d'écume odorantes. On ne ment pas, quel intérêt ; pourquoi souiller l'Onde Claire, se priver de ses joyaux, à quels prix ? Ô lâcheté tristement fugitive et cruelle de celles et de ceux qui privent l'innocente joie de l'enfant de l'eau ...
Jour sans soleil que le seing tempétueux et le galbe blanc ravissent comme un seul rayon, au bout de l'interminable descente, tu resplendis tel le déclin au seuil de la renaissante ascension... Coursier d'un moment, je disparais au milieu d'une chevauchée à part, noyé dans l'embrun où le crachin, le grésil se mêle. Je suis ce souvenir furtif et fugace d'avoir peut-être été, d'avoir vécu ou risqué l'autre illusion, partagé quelque part un petit coin sincère de Réveillon frugal parmi les vagues, solitaire comme Noël ou le sans abri volontaire ...
Tout autour, le silence et le vide hurlent quelques vérités que la lame dépasse, puis c'est le fracas assourdissant, l'avalanche et ce terrible regard de verre, lumineux, cave, caverneux, l'antre du cyclope qui me cherche de tout un œil et me happe !
Il n'y a personne, où alors serait-ce en l'éclair fulgurant d'une seule et profonde pensée d'amour ! Personne, pas même ce petit écran digital qui me suit et me cherche, qui tente dérisoirement et sans comprendre, de cadrer mes folies déraisonnables, cette quête insatiable de libertés que l'on ne saurait emprisonner sur une photo, un film, en un minable petit récit. Serais-je ce Narcisse exalté et auto-proclamé, l'être béat, béant à la psyché turquoise comme le dirait un certain parent démuni, reconnu depuis et tristement insultant...!
Comme à l'accoutumée, l'infime trace de vie qui me veillait sur la grève m'aura résolument perdu. Je vis alors seul ce dialogue éperdu avec la Vague. Nous venons de très loin, tous les deux. Je vais à sa rencontre, là où elle prend tous ses élans, toute son énergie ; elle attend comme elle revient au-dessus de ces hauts-fonds reculés et cachés ! Et nous recommençons ! à chaque fois, c'est une invite que la générosité charme, comble et angoisse.
Voilà pourquoi je suis là et non ailleurs, aujourd'hui, en ce jour de Noël, derrière cet immense écrin où valsent en couple l'instant et l'éternité troublés à l'unisson de l'éphémère et de l'intemporel, la foi bouleversée d'azur. Il règne ici une loyale franchise, l'indéfectible ressouvenir de la nature prégnante et vitale. Je viens me perdre, m'oublier, me cacher peut-être et livrer ces sentiments de cendres qui peupleront la crête joyeuse des vagues jusqu'à l'extinction du souvenir, loin, très loin après l'être de chair périssable qui a esquissé en ces lieux l'envers de la joie. J'use le présent jusqu'au bout de mes forces, entre le fardeau des années et l'incertitude de l'espoir, je me serais débattu, et voilà que je me suis abîmé !
Sursis transitoire au cœur fracassant de la solitude, du dénuement ; je me retrouverais et me rassemblerais au terme loué de ces déferlantes inhabituelles que la rose des vents dressent depuis l'empyrée, vers ce chaos magistralement ordonné ... !
Il y a en chaque songe dissimulé au cœur de la nature l'expression, l'étrange présence d'un Dieu tout puissant. Vêtu des flammes du couchant, de l'étoffe des mers, couvert des glaces de l'hiver, j'entends ses suppliques hanter les cathédrales de sable et d'eau révolues, tellement figées !
Le 24 & 25 Décembre 2010
2 ème Ecriture le 20.03.2012
3 ème Ecriture le 26.11.2012
VINTILEGNA
En souvenir de la terrible Tempête du 2 Janvier 2007 où je partageais des Sets d'une stupéfiante hauteur avec ?
VINTILEGNA
ISULA DI CORSICA
STREMU PUMONTI