LE SOMMEIL PRES DU CIEL ...
Dernière reprise et correction : le 04.02.2013 ...
« … Et au fil du lent dévalement des montagnes grandissait et s’élevait en lui un désir de steppes arides, le souhait du dénouement, tout près du dénuement, uniment …
Je décelais alors à travers l’immense chaos cinéraire l’ombre de deux hémisphères, ronds et doux comme la terre, un fruit généreux et immortel … »
Nous avons cherché un jour durant à percer une énigme, le soleil dardait de terribles rayons ; il importe si peu ! nous naviguions à vue, à bord d'une île, en haute montagne, très près du ciel ... Et l'on devisait, le sommeil de l'Après !
Telle une apothéose, ce dernier jour du mois d’Août fit une halte. Tout là-haut, vers le firmament, un regard épris de vastes steppes, d'autres horizons tangibles. A l'acmé de la gigantesque pyramide de dalles et de rochers polis je me confiais à l’éternité, aux étoiles. Je me serais alors lové au cœur de la roche et de l'eau comme un fœtus et son double, avant de renaître ... Si près de la pierre tumulaire et de son arbrisseau couvert de baies, blotti au plus doux du nid de la candeur et de l’innocence, je vécus le trouble de la quête, d'une probable découverte, les innombrables doutes qui fondent l'après ou commue l'instant présent en un irrévocable labyrinthe où le temps n'aurait plus de prise...
Je ressentis pour la première fois la certitude du vide, de l’abandon, de la tristesse et de la mélancolie que comblent si violemment les vents aveugles des cimes et des hautes montagnes. M'envahissait alors un terrible sentiment de déréliction !
La brume matinale et les nuages que la terre exhalait, l’haleine lourde des plaines fabulaient les fumerolles d'un hypothétique volcan. Ainsi de ce charroi fantomatique qui montait des vallons et des ravins à l’assaut du ciel, drainant les relents conquérants de la ville et du tumulte estival.
Ce n’était pas l’encens des chapelles perdues ! qui l’aurait du moins et si justement, clairement prétendu ? Non, mais qui sait, le puissant encensoir des monts, le rite de l'offertoire mais attribué aux fastes que la grande nature perpétue en ces profonds calices, élevés à l'encontre de l'azur, des marins, des pèlerins, à l'au-delà des saisons !
Alentour, l'horizon se diluait, se confondait avec les ciels qu’une île s’était choisis ; l'éther et la mer parvenus avec " Lui" au terme de l’espoir et de l’abnégation, du possible, de l’inimaginable. Je sentais flotter, tout autour de moi, l’ineffable présence de l’Ailleurs, l'ubique vérité accumulée en tous les figements des élans brisés de la terre, en chaque parcelle de moraine. Des rivières de blocs coulaient ; on eût dit des torrents en crue qui roulaient un flot bouleversé de rochers cyclopéens et qui se perdaient au loin vers les vallons ocreux et roussis par le soleil. A l'automne et jusqu'au printemps, l'eau en emprunte le cours abscons, cristallin, s'égarant vers les pozzines *** dans le bruissement sacré et convenu des hauts plateaux...
Mon Dieu, quelle avalanche de silences pesait en ces moments sur nous, quelle chape révulsée, convulsée, aurait pu mimer si bien le chemin ardu et pentu de l'humanité, de tout ce qui fut et sera !
O stèles immémoriales ! livrées du nombre, feignant la multitude réfringente et argentée qui passe et demeure ! Pourquoi cette prosternation engendrée d'un commun accord, tant d'absence étendue en ce temple de révélations ?
Non que j’eusse souhaité me confier, verser quelques larmes, épancher maints états d’âme en ces terres lointainement transhumantes d'estives et bucoliques, mais il sourdait en moi, à l’unisson des versants, des coteaux, des bosquets, l’expression, les manifestations d’une étrange destinée, de l’impossible oubli, d'un improbable sort ; et pourtant ! deux vies sibyllines s’en seraient allées mystérieusement, soudainement, ici, en ces lieux de pèlerinage aux sources, d'extrême rudesse et d'authentique splendeur !
Et si j’avais eu en ce moment une vision claire de la mort et de l’après, il m'aurait alors semblé m’en approcher, les tutoyer, aux confins et à la limite des sens, au seuil de l’esprit, de ces petites âmes qui planaient peut-être au-dessus de nous comme le vol tenace et persistant du milan, de l’aigle royal dominant de son aura céleste l'étendue immensurable du massif.
Je voyais en lisière du repos éternel poindre une autre espérance, les feux parfums de la plénitude, de ces fleurs jumelées que le haut plateau avait en un éclair émerveillées en les ravissant pour toujours …
Étrange journée au royaume de la pierre ! Citadelle verticale, cirque minéral, nef éthérée où chaque attention est une invite légère et si douce à l’envol, à l'élévation, à la solennité !
Le pas y est mesuré ; lourde et pénible en devient l'ascension. Mais dès le premier regard, durablement et sitôt saisi, le paysage inflige les métamorphoses de l'envoûtement, suit indéniablement Un Seul Guide... L’empreinte poignante de l’espace est pareille à mille étreintes que le souffle, l’azur, la clarté, la plainte stridulante du rapace se disputent inlassablement en gagnant l'empyrée, en lançant comme un écho de l'au-delà .
Alors, j’ai cherché, je me suis rendu au plus près du dictamen incompréhensible de l’homme parvenu aux barreaux, livré aux serres de l'étant, du marin à terre épris d’astres, de triangulation et de constellations, rendu, qui sait ici, pour projeter vers la nuit le fruit de ses rêves incompris, de l’unicité déchue à laquelle il n’aurait osé croire ou penser qu’elle fût alors probable.
Entre l'hiver des crêtes et la nuit obscure de la foule, il aura alors choisi sa thébaïde !
C’est un gouffre sans fond, une spirale astrale, le vertige des étoiles à la portée d’un sommet, d’une cime ; un sanctuaire élevé tout près de la voûte céleste afin que des milliers de mots et de maux comparaissent devant le Créateur au coeur de la basilique sidérale, sur l'Autel des vraies citadelles …
Et ce langage crypté, d’une implacable géométrie, engendré à la source du ciel, sis à des centaines de Milles pour entonner à jamais le cœur finissant d’une belle symphonie, le chœur frémissant d’une sonate en plein ciel, l'assise pyramidale, paradigmatique, presque mythique d'un pacte scellé au temps mêlant là, à la face des mondes, la ronde souveraine de la vie et la mort.
Aussi cruel et monstrueux qu’il eût pu paraître, l’acte désespéré n’en serait-il pas moins aussi une offrande à l’éternité, à l'infini ? En serait-il alors plus compréhensible, appendu lourdement à la charpente du réel comme le sacrifice consenti de sa vie quelques temps après l'inommable dilemme, le reflet infranchissable d'une existence, de ce miroir sans tain duquel on ne reviendrait plus ?...
Un don certes prématuré, mais libre et qui se voulait désespérément affranchi de tous les péchés, parvenu au point de non-retour, afin que la candeur livrée et si faible en fût définitivement épargnée, protégée, demeurée intacte, intouchable.
Un acte exalté, inconsidéré, livrée de la folie eût-on aussi souhaité, presque aveugle dont les moyens auraient épargné les souffrances, dépossédés qu'ils eusent été de toute engeance et qui pourraient avoir signifié l’abandon, la fin d’une pénible traversée, une démission, une délivrance sans concessions et brutale.
Une supplique loin de tous les usages douteux qui, dans un geste d’ultime désespoir eût pu se faire pardonner à l'orée du ciel, de la nuit perpétuelle, d’une prochaine aurore ! Mais si loin de la comédie humaine ...
Mon Dieu, où serait donc la raison, la vertu, la conscience du bien et du mal si ce n’est là, au faîte de la vie, au bord du grand saut, si près de la mer tellement bleue ? La mort est partout, à nos pieds, sur la vire et le ressaut que les illusions balaient d’un seul trait avec le coup de vent, à leur guise, indéfectiblement alliés .
Quelques chiffres, des coordonnées mathématiques irréfutables et pourtant ! Nous errons, butons, gravissons en vain. Ne voyons-nous pas encore qu’en ce bas monde les sens limitent et ombrent toute vision, enténèbrent les promesses de l’imaginaire et de la pensée ? Qu’il en serait finalement de l’ailleurs comme ici bas sur la terre : l’ineffable mirage de l’être que les siècles orchestrent le long du rêve, une histoire sans fin aux improbables, aux possibles recommencements qui juchent le sol comme une hécatombe de rossignols ...
Et chacun de ces doutes qui nous accompagnent et nous exhortent à poursuivre, traversant l’absurde ou la nausée, sont en fait les ferments même de l’espérance, le levain de chaque parcelle de joie ou d'amertume, une vague unique de bonheur portant à la croisée des chemins deux âmes soeurs promises ?
Je ne m’en remettrais qu’à la sérénité, à la transparence, à la pureté de ces rêveries que rien ne saurait souiller pour mieux coudoyer en esprit le Verbe, pour fustiger radicalement les vils desseins de l’éphémère, pour comprendre ou embrasser peut-être et aussi les extravagances du libre-arbitre et de ses limites intolérables, inconcevables et que toute transcendance aurait jusqu'ici rejetées en vain ...
Un homme désespéré aurait donc choisi le sépulcre minéral sans échos où l’eau et la roche creusent avec la bise les yeux de l’éternel, consent dans les lointains à l’espoir des sources … Les vents y chantent la liturgie des îles à la dérive, et où chaque nuit appartient résolument aux étoiles, aux hasards, aux clémences de la mer .
Il a su et compris que tous les horizons convergeaient vers le même Ciel, qui ne concèdent de distance et de durée qu’aux corps grevés de toutes ses contingences immédiates, celles d’un monde impie, impur et sans promesse amoureusement tenue, le prisme traître et si souvent déloyal d'un quotidien de haine et de mensonges.
Il savait peut-être que dans les fondements irréfutables de la pyramide, de la légende, d’un sommet prompt à cueillir le sommeil du ciel, germe lentement un songe de renouveau, une possible renaissance, l’immanente foi en un Univers d’apparences, la Voie en route vers le Néant, Dieu, l’Infiniment petit, l'Invisible et l'Immortel qu'il nous suffit une seule " Foi " d'avoir nommé pour y croire et tout donner …
*** Une pozzine est un trou d'eau observé dans les montagnes Corses
Cristian-Georges Campagnac
1 ère Ecriture le : 1.09.2011
2 ème Ecriture le : 2.09.2011
3 ème Ecriture le 6.09.2011