DANS LES DUNES - ALEXANDRE BLOK
Je n'aime point ce creux vocabulaire
De mots d'amour et de piteuses expressions :
" Tu es à moi, je suis à toi, je t'aime, à toi pour toujours. "
Je n'aime pas l'esclavage. Mon libre regard,
Je le plonge dans les yeux d'une jolie femme.
Et je lui dis : " Aujourd'hui, c'est la nuit. Mais demain
Sera un jour nouveau et rayonnant. Viens !
Prends-moi, passion solennelle !
Demain, je m'en irai, demain je chanterai ! "
Mon âme est simple.
Nourrie par le vent salé des mers et l'odeur résineuse
Des pins, toujours elle garde ces signes
De mon visage hâlé.
Et je suis beau de la beauté dénudée
Des sables mouvants, des mers septentrionales.
C'est à quoi je pensais en flânant
Sur les frontières de la Finlande et en m'efforçant
De pénétrer le parler obscur des finlendais mal rasés,
Aux yeux verts.
Le silence était debout. Devant le quai,
Un train prêt à partir déployait sa vapeur.
Et les douaniers russes paresseusement
Étaient couchés sur la butte sablonneuse
Où finissait la voie.
Là s'ouvrait un pays nouveau.
Et un temple russe, orphelin, regardait
Vers ce pays inconnu, étranger.
Ainsi je pensais. Et la voici qui apparaît,
Debout sur le talus !
Ses yeux étaient roux de sable et de soleil,
Ses cheveux, résineux comme les pins,
Retombaient sur ses épaules en bleus chatoiements.
La voici ! Et elle a croisé son regard de fauve
Avec mon regard de fauve. Elle rit
D'un rire criard. Elle a jeté sur moi
Une touffe d'herbe et une poignée dorée
De sable. Puis elle s'est relevée brusquement
Et bondissant, s'est enfuie jusqu'en bas du talus.
Et moi, de loin, je l'ai poursuivie. J'ai éraflé
Mon visage aux aiguilles de pins, ensanglanté mes mains,
Déchiré mon habit. Je criais et je poursuivais ce fauve.
Et je criais encore et je l'appelais.
Et ma voix passionnée était comme le son d'un cor.
Or elle, laissant une trace légère
Sur les dunes mouvantes, disparut entre les pins,
Au moment où le bleu de la nuit commençait à les tresser.
Couché à terre, encore suffoqué,
Je suis seul dans les sables. Dans mes yeux enflammés,
Elle court, elle rit aux éclats.
Et ses cheveux et ses jambes rient aux éclats,
Et sa robe est gonflée par la course...
Entendu, je pense : " Aujourd'hui, c'est la nuit.
Et demain c'est la nuit. Je ne partirai pas d'ici
Avant que je l'ai traquée comme une bête,
Avant que je lui ai barré la route avec la voix
Des cors quand ils appellent. Avant que je lui ai dit :
" A moi ! A moi ! " et qu'elle m'ait crié :
" A toi ! A toi "
ALEXANDRE BLOK
( Poésies, Vol . II. PENSEES EN LBERTE )
Anthologie de la Poésie Russe