LE MAS THEOTIME - HENRI BOSCO
" Les histoires d'enfants que j'écris, c'est pour moi que je les écris,
c'est-à-dire pour mon plaisir ou, plus exactement,
pour l'enfant qui survit en moi "
Henri BOSCO
( ... ) Je montai au grenier aux plantes et je veillai très tard. Dans mon sommeil, j'entendis comme un pas descendant l'escalier. En bas, la porte grinça un peu. On sortit dans la cour. Le pas fit crisser le gravier, puis s'éloigna vers la montagne. Sans doute je rêvais. Cependant j'entendis la pluie qui tomba vers quatre heure du matin. Une fraîcheur subite pénétra dans le grenier. Longtemps j'en goûtai la saveur avant de m'éveiller. Quand j'ouvris les yeux, un jour pur commençait à peine à toucher les crêtes des collines. Les nuages étaient partis. En passant ils avaient oublié cette petite pluie qui avait rendu sa limpidité à l'air matinal. Pas une vapeur ne flottait sur les flancs des collines brillantes d'eau. Et je me dis que c'était là un beau matin pour Micolombe.
Au-dessous du grenier, on entendait claquer le pas de Geneviève dans sa chambre. Une bonne pensée me vint. Je lui écrivis un billet qu'en passant j'épinglait à sa porte. " Rejoins-moi là-haut, lui disais-je. Et nous déjeunerons près de la source. "
Après quoi je partis, heureux de ma pensée, et aussi que l'air fût si bon, le jour si beau. Et je chantonnais en marchant à travers mes terres.
Ce matin-là, tout s'offrait avec une sorte d'innocence. Les alouettes s'envolaient à peine, à mon approche, pour se poser un peu plus loin au milieu des clairières ; et de petites compagnies de perdreaux, déjà très affairés, traversaient le sentier sans méfiance.
Il faisait trop bon pour herboriser. Dès que je me penchais vers une fleur, le parfum qui en émanait ( et qui avait filtré à travers l'eau de pluie dont les corolles regorgeaient encore ), me rafraîchissait le visage ; il laissait ainsi sur mes lèvres ce goût de miel et d'amertume que contient toujours le suc des plantes sauvages.
Geneviève arriva vers dix heures à Micolombe. Je la vis monter, avec un grand panier au bras et un chapeau de paille bleue sur la tête. Elle n'avait pas pris par les terres, mais suivi mes indications concernant le sentier. Elle aussi, paraissait émerveillée de tous les pas qu'elle faisait sur ces pentes fleuries de fraxinelles et de grandes digitales.
J'avais ouvert les volets de Micolombe et déjà établi une petite table sous les pins dont les rames étincelaient de gouttes d'eau.
Dès qu'elle m'aperçut, elle sourit. Sa figure, un peu animée par la course et l'air du matin, exprimait une grande confiance.
Et de la voir ainsi, j'éprouvais une extraordinaire émotion.
Micolombe la mit aux anges. Elle voulut tout voir. Je ne lui cachai rien. Les placards furent explorés. On feuilleta les livres et les plantes. Elle en tira des joies si vives que je finis par me prendre moi-même à l'élan gracieux de son plaisir ; et mon coeur réticent s'attendrissait à découvrir, à côté d'elle, les fragiles merveilles de ce lieu.
Nous courûmes partout : sous les pins, à la source, et le filet d'eau nous parut si pur, que nous y bûmes à même l'argile.
De temps à autre un couple familier de palombes bleues, qui a son nid dans la pinède voisine, venait se poser sur les tuiles de Micolombe.
Tout portait Geneviève au ravissement. Les lézards étaient beaux, peints de vert et de jaune, apprivoisés, prétendait-elle, et déjà l'écureuil, saisi d'étonnement, était descendu de deux ou trois branches.
Elle ne riait pas, mais par moments l'ivresse du bonheur la secouait. Alors elle agitait vigoureusement ses cheveux fauves.
Elle avait le bonheur si communicatif que, moi-même, si rebelle aux premiers emportements et rétif à la séduction, ce jour-là, touché droit au coeur, et ébranlé par cette fougue, je cédai au plaisir de m'abandonner tout entier à une sorte de délire pur. La candeur de la matinée, l'odeur de la pluie et cette jeunesse du sol, qui s'épanouit délicieusement après l'orage, s'accordaient peut-être à porter quelques amollissements au plus dur de mon âme rétive. Par ce chemin, Geneviève s'était jetée, avec violence, pour atteindre du premier coup jusqu'à mon coeur, plus sensible sans doute que je ne crois.
Nous restâmes à Micolombe jusqu'à la tombée de la nuit.
Nous attendîmes que son ombre enveloppât le toit et les feuillages de Théotime. Nous savions quel repos nous y acceuillerait et que les femmes Alibert y préparaient notre repas. Maintenant tout nous appelait dans le quartier des terres. A notre lassitude d'avoir tant joui de grand air, le recueillement et la paix de la campagne brune, qui commençait à s'endormir, offrait le refuge du soir. Pourtant nous demeurions devant la porte tiède de Micolombe. Nous voulions, aussi longtemps qu'il se pourrait, retarder, pour jouir de notre coeur, le moment de descendre vers ce pays calme où, depuis l'aube, rien n'avait bougé. Notre jeunesse et notre force animaient notre sang encore chaud, et, malgré l'influence apaisante de l'ombre, cette chaleur brûlait encore nos visages. Comme Geneviève se taisait, je lui dis :
_ Je te donne Micolombe.
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Henri BOSCO
le Mas THEOTIME
Edition Charlot - 1946 -
Paul CEZANNE
Henri BOSCO
le Mas THEOTIME
Edition Charlot - 1946 -