AU SEUIL DU SILENCE...
UNE REVERENCE A LA VIE
Oui, comme toi, je réponds aux injonctions, non de la bête humainement serve, mais du verdict de l'immuable qui te parfait.
J'obéis avec toi aux commandes de ce long voyage qui de la source au fruit te livre à la lumière des vents. Des mots du
langage, infectés et dévoyés, je n'en retiens que les couleurs, l'ordonnancement euphorique, euphonique des sens, l'imprégnation originelle de la
beauté, leur
fidélité à l'émotion, aux mondes sensibles qui tracent ta voie. De la déraison verbale à outrance, de toute vaine pléthore, des
logorrhées de la dominance, je n'en veux plus ! Mais dire humblement,
simplement les poésies du silence, entonner les sonnets inépuisables de toutes ses réclusions vers lesquelles je tends ... Pour un univers
empli des promesses de l'au-delà, de la passion, de l'harmonie ...
C'est dans le tumulte rayonnant des flots et des vents, au coeur de la nature en beautés recouvrant ses vastes espaces de
clarté et de transparence que règne le silence, comme l'écho visuel et solennel des éléments dans leur pleine mouvance.
Seuils assourdissants et propices à la lente maturation du regard, au réveil du corps, par-delà même la vision réfléchie et
partagée de l'ordre immuable des choses.
Il n'y a plus de mots qui vaillent le risque de s'aventurer en pensées, en dialogues inutiles confinant à la légèreté, à
l'intransigeance, aux finalités étriquées de la raison, à l'exiguité de l'entendement, aux certitudes obsolètes de la sagesse
lorsque se révèlent ainsi, au bord des mondes, les grandes enigmes de la vie et de la mort, du temps qui passe, du cercle infernal et majestueux des renaissances.
Mais les sens et le geste en leurs confrontations complexes avec les milieux qui nous cernent et nous é-meuvent, l'essence même de
ce théâtre à ciels ouverts où se jouent l'épopée, le cantique général des mondes mutiques qui nous parviennent et nous sidèrent : Tant d'arcanes invisibles, secrètes et tout autant palpables, l'infini que l'azur déroule à chaque pas, à chaque bordée,
autour de l'instant, telle une révélation, cela touche à l'indicible ! Un ensemble qui n'est que fulgurances, appropriations
immédiates d'un chant presque visible aux coups de foudres fascinants dès lors que chaque expérience nous revient des lointains passés,
épure au sens strict comme il en serait de la première impression ! Quel mot s'enhardirait alors, prétendrait à l'exhaustivité en se prévalant à
l'encontre d'une toile, d'un distique, des sonnets immédiats et beaux d'un printemps ? Serait-ce l'unique héraut du reflet figé
et incomplet des choses, s'intrônisant sans manquer ou faillir irrémédiablement à la vérité et à la force des harmonies
prégnantes, capable de présider aux élans du coeur comme aux sacres fugaces d'un rare moment livré aux métamorphoses et à la renaissance
perpétuelle de la vie sous toutes ses formes. La nature en cela reste une demeure prodigue et généreuse à qui sait l'écouter, la
découvrir, l'embrasser ; elle nous dépasse et nous enseigne plus que toute invention de la raison ! Il est des sphères insoupçonnées que l'âme explore quand elle retourne à ses multiples
enseignements originels, palingénésiques ; elle qui affectionne ces expériences étrangères et profuses, démarquées du sens
commun, irrémédiablement séduite et curieuse d'un tout, de l'incréé. De ces pérennelles découvertes forçant la frontière de la
parole, du langage, elle se réfère dès lors et plus intimement aux horizons surprenant de l'émoi, de l'image et aux jeunes
frissons que lui inspire la trame de l'inhabituel, du renouveau, comme un sentiment diffus et conquérant de plénitude,
passionnel. Alors,emporté, emmené lors de ces échanges exaltés, dans le consentement abyssal et convenu d'une rencontre,
souvent pris dans ces chaos étrangement orchestrés, j'abandonne le cours réfléchi d'un quotidien d'habitudes, de
représentations souvcent faussées pour me donner à l'ivresse de la contemplation, aux fantaisies de la spontanéité illimitées
des scènes qui s'offrent au regard, aux sens et bien au-delà, au ressenti de l'être total ! Là, le temps d'un acte majeur, le corps
attire à lui, reçoit comme un parchemin d'ineffables empreintes, misant de réels départs, de nobles noces. Comme si l'âme
eût détourné ses desseins, par trop timorée, laissant alors au corps plus de commandes capables de transmuer la
personnalité au-delà du temps, vers quelques inclinations d'une sibylline symbiose, d'une providentielle complètude... Ce
corps désormais doué du souffle tangible et probale, allant par-devers les mots, entre ressenti et message, quêtant
l'évènementiel, une promission en gestation, à l'aune du désir et de la motivation irrépressibles qui désormais l'initient,
l'enrichissent indéfiniment envers et contre toute morale conquérante, tellement réductrice.
L'âme et le corps, au diapason d'une écoute symbiotique, génèreraient alors des phrases d'une autre complexion, une chaîne
et une trame toujours plus étoffées d'alliances scellées, de fastueux échanges, vécus, redoutés, aimés ou dès lors reconnus.
Ainsi de la musique, qui en son aura tutélaire, dépasse le cours basique et le cheminement simpliste de cause à effet que toute
relation au monde initierait au premier abord sans émouvoir, par trop de raisonnement. Mais laisser à la curiosité, à la sensibilité, à l'émotion un vaste
territoire où germeraient tant de possibles, les manifestations intimes mais non taxinomiques de nouvelles relations aux
mondes sensibles. Opter résolument pour un ensemble de vérités et de commandes naturelles, afin d'accorder à la
souvenance, à l'information en cours les témoignages ancestraux d'une profonde et lente maturation de la personne douée
plus que de raison de sens esthétique, de l'allant de l'amour Agapé. Chaque esprit irait s'épanouissant, s'offrirait ainsi les
horizons porteurs de l'être affranchi des carcans et des entraves ordinairement appliqués au sujet, à l'acteur asservi du
temple des représentations exclusivement sociales, contraint à cadrer entre normes et devoirs incessants, de chaque sujet dénommé,
circonscrit à outrance... Edifierions-nous un temple où péricliterait l'essence même de la liberté, opposé à la fidélité que l'on doit aux
substrats !
Il est des épreuves initiatiques où il importe de bousculer l'écorce tenace des mots, de parvenir au bout de la nuit des pensées
arrêtées, de dépasser quelque peu le néant ou le tout qu'une seule acception contiendrait et faire place au silence. Lui
accorder l'étendue, toute la vacuité qu'il requiert et emplir enfin le calice, la vasque d'une âme des richesses exploratoires du
silence ! Il s'y logerait alors l'épure des choses, un monde d'apparences vraies et dépouillées, un univers engendré avant
même le commencement de la pensée, largement évoqué par les sens en leur plein assouvissement... A partir de là, point et plus de détour,
d'exclusive, ni d'appropriation inconvenante, tendancieuse de l'étant mais la juste donne d'une nature engendrant la vie, la révérence à la Vie,
l'éclosion, l'harmonie, la souveraine transmutation des mondes, leurs promesses enfin tenues et jamais entâchées...
Puissè-je m'affranchir des amarres, des barreaux des mots ; fussent-ils en poésie ! Mais me laisser envahir par le silence
cristallin des vagues, de l'azur, de la lumière afin qu'à toujours y pénètrent en mon âme les vérités d'un seul oiseau, de l'oranger,
le souffle de la brise, le parfum enivrant d'une fleur, la douceur d'une caresse, l'harmonique de la forêt et de l'estive, la rosée du matin, l'été... Ce n'est
que bien après que me parviennent ces graines de mots, pêle-mêle et que lentement l'âme dispose en fleurissant avec amour, en esprit, apaisés, leurs
jardins secrets.
Il y eut d'abord une puissante imprégnation des choses ; puis vint l'émotion, l'espace, l'empire des sens, le jeu... toujours,
sans un mot. A travers un prisme incommensurable, aux innombrables facettes, je revenais déjà, familier aux mondes,
reconnaissant de leurs largesses ; le langage, sans la pensée, ou l'inverse : quelle gageure ! Mais le silence, chargé d'émerveillement, de frayeurs, d'attirances et de découvertes, de répulsion et d'envie, consommait avidement les rapports
essentiels voué à mon entourage sans pour cela qu'il eût fallu les nommer, les travestir. Je retrouve dans la nature l'émoi et la pureté,
quelques bribes de plénitude loin de l'enfer asservi des mots. On y bannirait leur cri pour y élever de sereines louanges ; ainsi des vérités de
l'oiseau qui de la couvée au trille accompagne la rime du poète et, qui jamais ne passe, gagnant ensemble, d'une multitude de silences,
les serments tant attendus d'un printemps, le souvenir fidèle à l'été, le retour de l'hiver après les clémences de l'automne !
" Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté. "
- Charles BAUDELAIRE - L'Invitation au Voyage
1 ère Ecriture 01 / 08 - 02 . 2013 - En cours -
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