UNE ENFANCE AFRICAINE...
A écouter jusqu'à la fin, le Guitariste est étonnant
Elles sont si loin les années Africaines de la belle ville libre, Libreville ! O Terres, rives Africaines immenses et d'essences vénérables, vos forêts aux bois nobles et rouges de latérite où j'aventurais mon âme au coeur de la brousse, roulant sous la conopée vers la Guinée Équatoriale ou l'inconnu. Une vieille motocyclette que je réparais tant bien que mal et que j'exténuais tant nous cavalcadions, du Cap Santa Clara aux rives du Kango, au-delà d'Owendo ou gagnant vers le Nord et " Cocobeach ".
Je trouve cette vidéo, ce petit film d'un groupe culturel étonnant de Musiques Métisses - BAKA BEYOND - qui me replonge dans les choeurs de mes souvenances rebelles. Et j'écris ce brin de récit, je soulage un peu ma mémoire dont les réminiscences grèvent par trop les sombres journées de l'interminable hiver septentrional, ces solitudes toutes tellement indifférentes l'une à l'autre.
Je te revois adolescent, malingre et pâle, presque intrépide, peut-être et sûrement bien trop indépendant pour affronter le discours de la méthode, la morale de Kant très compliquée, les épisodes excédants de l'autorité paternelle intransigeante et décalée ! Oui, oui ! mon ami, mon frère, c'est bien moi qui ramais, qui pagayais à l'avant d'une lourde pirogue en bois d'Okoumé, descendant avec le Jusant vers la Sablière, le fond de l'embarcation déjà tapissé de rouges et de dorades ; le cheveu long, bouclé et collant, le tint jaune et l'oeil cave du Paludisme ou de la dingue exaltés, empestant l'alose, j'allais comme Robinson, si détaché des bouquins, à l'essentiel d'une éducation parallèle ! je passais devant vous, chers écoliers, vous qui me dominiez en me toisant depuis les Lumières, à bord des Fleurs du Mal, vers Verlaine ; je ne vous dirai jamais la raison de mes fugues précoces mais plutôt l'opportunité délicieuse et si espiègle de fronder avec les pans d'une merveilleuse Enseignante : ma Mère-Nature et bien sûr, mes jeunes amis Gabonais, Africains, Pêcheurs, comme moi ...
Évasions, folies, découvertes emplies de fraternité et d'échanges, je retourne encore une fois vers ces gargotes de planches et de tôles cloutées où jouait une musique aux rythmes lancinants et que je redécouvre dans ce petit film de Baka Beyond. Il m'en vient les larmes aux yeux. J'entends ces musiques lointaines, tambouriner les grosses averses équatoriales. La bière locale coule à flot, les yeux sont rouges, la journée de labeur est finie, place aux palabres et à l'humour, à la danse, à la joie et l'insouciance. La maison est alors très loin dans la nuit précoce, je ne veux plus rentrer ; là-bas, l'ordre et la maladie guettent, m'attendent... Où suis-je, pourquoi, tout tourne trop vite dans ma tête ! Je vis et je suis de ces quartiers Africains que la ville des blancs avait relégués à la périphérie ...
Et ces sourires justes ébauchés, osés à la rencontre d'une jeune fille noire du pays, très belle, qui me dévisage, dans la pénombre ; le monde s'ouvrait d'un seul coup vaste comme l'océan pour ce petit rêve d'homme qui mûrissait sous les badamiers, le long des longues berges de palétuviers et de la mangrove. J'avais juste quinze ans et " je me déniaisais " comme disait le Grand Jacques avec le monde, animé du profond respect de ses couleurs fascinantes et à la peau si douce ! Je ne dansais pas, j'en avais juste envie et mes plantes de pieds bougeaient toutes seules sur la terre battue exhalant les arômes de la saison des pluies, toutes les effluves des quartiers autochtones qui fleurissaient de pagnes, de boubous, d'étals aux couleurs extravagantes. Et l'on palabrait, on riait surtout dans le dénuement et la simplicité accordés aux choses primordiales. Les jours égalaient les nuits, toujours, c'était bien avant déjà le Sud et le froid, un sordide souvenir que les longues palmes effaçait en dansant dans le ciel lavé du matin à la brise marine et que le vaste estuaire avalait goulûment. Les longues grumes flottent encore et s'échouent comme des baleines sur les berges obombrées. Nous nous cachons derrière, fôlatrant et jouant les amoureux. La mer accordait là-bas toutes les notes d'une cité libre où j'aurais sûrement laissé mon âme.
J'entends et je reçois toujours ces percussions, ces envolées de guitare, ces accords tellement dansant et profondément Africains qui pendant si longtemps m'auront tant donné au diapason des jeunes pulsations des mondes, sans différence, dans leur sublime diversité, leur émouvante chaleur vis à vis des autres, de nous : petits blancs. Je rejoignais souvent ces quartiers, ces petits ports de pêche où l'existence languissamment s'écoulait comme les pirogues bigarrées qui glissaient silencieusement sur l'eau grasse des anses et des petites pêcheries. Ah, les criées, les poissonnières, les pêcheurs et leurs inimitables appels, les commentaires faces aux prises étonnantes et profuses, odoriférantes à des lieues à la ronde qui jonchaient le sol vaseux aux mille traces de pieds et de vies seyantes.
Voilà, je vais bientôt mourir à la fonction fonctionnarisée, numérisée ou " N'humaine dit-on dans cet infecte jargon ", regagner le devoir, la norme morne et référencée, l'odieuse injonction, le tout des-gradés. Mais je n'entendrai plus rien de cela que l'écho et l'appel de la forêt, je ne verrai devant le monde que les pantomimes silencieuses du tam tam et ses gestuelles tonnantes délirantes qui m'apprirent à rêver, à danser quelques fois ma vie au bord de l'extrême et de la passion, de la vraie Amitié, de ces vérités qui ne savent ni tricher ni ramper...
Un Enfant Africian ou le " Petit Blanc d'Afrique ", comme me surnommèrent les deux Artistes du Groupe Touré KUNDA en virée in Bunifazziu, lors de Nautic & Music !