LES MOUCHES !...
Voici comment l'animal est traîté, de nos jours ! Evocation ci-dessous d'une tranche de vie arrachée au quotidien ! entre splendeurs et barbaries, le silence est d'or et vénérable, dit-on ! Mais suivez, sous les feux de la folie, le recul d'un temps o-dieux, les chemin de l'oubli qui nous ramènent aux heures sombres d'une ère nouvelle !
Il est tôt, les oiseaux chantent à tue-tête et se répondent, se dénombrent, indéfiniment dans les clartés du petit matin ; la campagne odore le printemps et la vie foisonne, fusionne, s'échappe multiple et diverse aux sommations des pas qui m'emmènent entre collines et vallons, par les chemins oubliés des hameaux. L'éveil d'une pensée que l'étendue m'accorde et je recouvre en esprit le sens des simples choses ; humble parmi
les humbles créatures, je vais en divaguant, ivre de brise légère et de coquelicots empourprés. Aux pieds de la montagne, par le ciel limpide, tantôt sous la ramée ombreuse et fraîche, tantôt sous les premiers rayons du soleil, l'adrêt se révèle, dévoile une nature harmonieuse et parfaite, les fruits mûris à l'aune d'un temps précieux, insondable mais vrai. Lentement, pas à pas, les vieux murs mènent au hameau ; derrière
les arbres centenaires et prodigues, les branches esquissent en dansant quelques chaumines abandonnées, soulignent leurs pierres ocreuses, s'emparent des fenêtres béantes aux volets qui battent. Un couple de ramiers s'envole, l'air claque en marquant la frontière du danger et de toutes les prédations...
A l'entour, les champs verdoient, tellement lumineux sur l'azur. Figés, ils demeurent... parfaitement délimités et trop propres en perpétuant les territoires, les convoitises et les rivalités ; on y aura déjà fauché, dès le mois d'avril, toutes les fleurs sauvages et si belles, chargées de symboles ou malveillantes. En entrant dans le village, des bâtisses différentes blessent résolument la substance du passé, comme si les pierres d'antan eussent désormais juré, dénoté sur l'uniformité de la grisaille bêtonnée, durablement patentée ; roses, grises, lisses et par trop carrées, qui trônent et qui s'imposent dans le silence des malaises ... Petit cottages, imposant portail, jardins fermés à outrance et
choyés au cordeau où les fleurs auraient migré et muté contre nature ! Pas un bruit, les rideaux s'écartent à peine, laissent de temps à autre apparaître une silhouette furtive, presque méfiante aux pas de l'intrus qui ose l'heure intime du réveil ... Sur la route aux voitures pressées qui vont et chassent en crissant, une petite chatte erre. Elle miaule, épuisée ; on lui a enlevé ses petits. Les petites mamelles traînent au sol. Elle qui appelle en vain aura passé l'hiver dehors, sans foyer, laissée à l'abandon au royaume de l'opulence et de la distinction. La chapelle n'est pourtant pas loin et le regard, majoritairement indifférent et biaiseux règne et dissuade le détour !
Il est toujours édifiant de s'attarder en marchant, en pensant, en traversant ces venelles d'un autre âge et que les générations patiemment défont sans le savoir, sans le vouloir. Avant de m'engager sur une sente, vers un petit col, quelques chevaux à la robe baie paissent ; le calme, la quiètude sont à la prairie, et pourtant ! dans ce décor, ils évoluent, splendides. Je m'assoie sur le muret et attends ; curieux, un à un, il s'avancent pour me rejoindre, me saluer peut-être, partager juste un instant et me dire en secouant tristement la tête :
_ Regarde-nous, fais quelque chose, mais je t'en conjure, enlève de nos grands yeux, tout autour de nos paupières les centaines de mouches qui s'aggluntient et faussent le regard que nous portons sur l'existence et les hommes. Ils frissonnent, un essaim innombrable de mouches bruyantes et collantes se détache puis revient instantanément aveugler les pauvres hères, amies des hommes. Leur noble visage en est recouvert et je souffre pour eux !
Quel être humain supporterait pareille torture qui le jour durant, des dizaines d'heures souffriraient de telles offenses lancinantes ? La robe magnifique, l'allant puissant et le pas altier, ces compagnons, serviteurs de toujours s'éloignent pour trouver de l'ombre, sous un vieux figuier. Espèrent- ils une pause qui eût dissuadé la persécution des mouches martyrisant la beauté. Deviseraient-ils sur l'ingratitude de celui qui use de la servitude pour satisfaire le besoin ?
Et l'instant, un à un se détache, enfante une image pesante : la chaîne si courte à rivé le chien à un tonneau, son abri, à l'état de bauge ! et la voix de son maître qui hurle : " - Va coucher, couché ! " Ainsi se répercute vers les siècles le poids de l'ordre établi, l'écho de la réclusion et des atavismes dominateurs !...
Une cage grillagée, juchée sur quatre pieds, à l'abri du renard où pullulent et engraissent tant de lapins, en plein vent, sans bouger, le regard immobile ; ils seront saignés dans les règles de l'art. Quelques détonations récurrentes résonnent dans la montagne. Un chauffard sur la route percute une fauvette, un hérisson, broie une tortue. Le cadavre décomposée de la bête blessée à la dernière battue barre l'ancien chemin de transhumance et empeste en suintant, une colonie de veaux estampillés savoure aux dernières heures des condamnés la précieuse lactance du champ de la terre ... Et l'animal des fables, si rusé, si fauve et cher à nos coeurs d'enfants hésite sur le macadam, titube et s'écroule, frappé de plein fouet ; il pourrira, des jours durant pour ne pas avoir été abattu comme il se doit de l'être, depuis les odieuses inquisitions, depuis la barbarie de tous les holocaustes ...
Puis c'est l'univers qui bascule avec son lot méprisable d'atteintes perpétuelles à la vie, jusqu'aux tréfonds des jours, avec leurs vagues de calamités. Au coeur de la plénitude, voici l'éloge de l'enclave, jusqu'au bout des mots qui nous distancent à toujours et ne délinéent plus les mêmes horizons.
!