LE CHANT DE L'ANCOLIE !...
Des voix plus pures que l'eau cristalline du ruisseau, une diction aux sonorités aussi douces qu'une caresse à l'azur ! Comment penser, oser imaginer cette transfiguration diabolique de la Terre ? Je garde dans mon coeur la pensée immémoriale d'un peuple allant sur la voie numineuse des pierres et des vagues que les vents du large oeuvrent jusqu'aux cimes inexpugnables de la Liberté et de l'Harmonie ! Aux chants et aux champs de la beauté, de la vérité, je fais allégeance ; contre la laideur et la destruction, je me révolte.
A la Terre de Corse qui s'en va et que j'aime au-delà de TOUT, Ô BARBARA FURTUNA
!
Sur la petite route de montagne qui nous arrache aussitôt des miasmes
du bord de mer, nous mesurons combien la modernité est sale et ingrate.
Des kilomètres de fossés, de talus jonchés de détritus, d'ordures et de carcasses.
Les barbelés dilacèrent les champs empêtrés de ronciers et de lianes ronces.
Ces vastes prairies qu'un automne particulièrement torride ne laissent plus
de brûler ; partout des rebuts de ferrailles, des machines hors service et rouillées
achèvent de meurtrir un tableau, une scène que l'on n'aurait jamais imaginés.
Tout s'entasse, pêle-mêle ; les palettes de bois ont remplacé les haies et les clôtures
ouvragées ; ici, le souci de la beauté, de l'esthétique ne sont plus de mise. Cézanne, Paul
et Vincent sont si loin ! Nous n'en reproduisons pas le témoignage turpide.
Les ruines finissent de crouler comme elles s'esseulent sur fonds de massifs tutélaires et impavides.
Nous voyageons au coeur d'une vallée de moyenne montagne, entre l'azur des ciels
et les remparts infranchissables des abrupts de porphyre. Leurs pans chutent
vers les canyons, au plus profond des tombants hérissés de blocs et de maquis.
La pierre rougeâtre des horizons et des cimes subit toujours les heureuses
métamorphoses des siècles délivrant veines et diaprures que les bâtisseurs d'antan
choyaient et apprêtaient en soignant le chaînage d'angle des maisons les plus humbles.
Mais les temps auront bien changé. A travers ces terres de légendes et d'exeptions
la mode et le mimétisme auront tout brimé. L'individualisme vainc de la montagne
et de ses versants en les morcelant sans fin et sans limite. Ainsi, au pays de la roche
carmine, de la pierre blanche et des linteaux, des hautes bastides de granite ;
l'homme de la terre divorce d'un passé quasi honni, rompt avec ces époques
redoutées laissant planer, qui sait, le spectre de l'indigence et du mépris !
Alors l'aggloméré et les crépis multicolores, infâmes, rampant et conquérants,
polluent le regard et cet attrait que les villages parfaitement circonscrits offraient
aux yeux du pèlerin, du visiteur. Ces bourgs qui partageaient cette semblance sans nom
à la fois rassurante et source de tant d'attachement et de sentiment d'union indéfectible
à la terre de nos racines ; terroirs innombrables dont chaque vallon concédait aux
hommes la mémoire afin qu'ils parcourussent sereinement les quatre saisons,
les épreuves tant marquées d'une existence à la fois rude et tellement exigeante...
Au détour d'un virage, un village nous apparaît ; relique qu'entourent des constructions
modernes et disparates. La juxtaposition heurte comme elle choque le regard cave
de la tour aux meurtrières closes et aux mâchicoulis. La lourde porte a été solidement
fermée et renforcée. D'épaisses plaques de fer recouvrent le bois de pin ; ainsi du seul
accueil que nous recevons. Un homme passe, la tête basse, le port las ; il ne daigne pas
lever les yeux ... Nous aurions bien salué celui qui était peut-être lointain parent !
L'édifice fortifié domine le petit bourg. Ombre fantomatique que les vents traversent ;
maçonnés dans les murs, ces visages de pierre grenue dont on aurait brisé les traits
pour conjurer le sort et les imprécations des lointaines vendetta ; quel silence ! Les ruelles
sont si étroites que le soleil partout se devine et fuse. A nos pieds le béton a figé la pierre à huile,
large et polie, en guise de vestige ; trace, grâce des labeurs passés. Pas un bruit ni âme qui vive.
Un troupeau erre sur la route en amont ; les vaches sont étiques. Il fait chaud,
l'air est si lourd, accablant ... Ce jour se montre hors du temps et pourtant, ne sommes-nous pas
en montagne, au coeur de l'automne et des châtaigniers aux milliers de bogues qui ploient ?
Le soleil bas continue de roussir et d'embraser le cristal porphyroïde des dévalements aux
sommets acérés, là-bas , vers le canyon rouge et les crêtes qu'un nuage solitaire accroche ?
Au loin vers d'autres vallées , comme une ceinture de feu, les fumées rougeoyantes
de la civilisation griment l'azur d'un ciel dont nous connûmes il y a des décennies
les transparences et le profond indigo. En ce temps là, il neigeait au moins d'octobre !
Justes tributs d'une ère explosive, aux fumets volages qui inversent les températures,
malgré le solstice qui s'approche et l'altitude. Seuls les pins abandonnent à la brise
quelques senteurs authentiques de nature et bien de saison, emportant avec elle
le chant du torrent, depuis son lit encaissé et sinueux . Tant de secrets vénérables
et merveilleusement contés par les ancêtres, le soir à la veillée autour de l'âtre.
Nous reviendrons de ce voyage à travers l'immanence et le destin démunis de tout.
Comme orphelins d'une mémoire commune à la fois flouée et mélancolique. Où sont
ces havres de paix, de verdures et de soins que les hommes à la terre prodiguaient ?
Ne peut-on pas traverser les siècles tout en perpétuant l'âme des racines et les liens
Que nos anciens tissaient avec les ciels des saisons, avec l'eau et les labours, aux champs
perpétuels des Tribbiera et des sonnailles. Pourquoi faut-il que le progrès et l'évolution
riment et s'accordent avec le grégarisme et le mimétisme les plus agressifs qu'il nous soit
donné de déplorer, qui afflige tant les solennelles quiétudes de la beauté et de l'harmonie ?
Tandis que nous redescendons sur l'autre versant, l'incendie a laissé d'indélébiles balafres.
Les pins calcinés aux doigts noirs et carbonisés condamnent vers la mer le futile et l'éphémère.
En contre bas, le torrent impétueux et ses gorges vertigineuses abandonnent à l'acier le soin
de le transfigurer. D'une rive à l'autre, dans les airs, violant son éther, des câbles sont tendus,
rivés aux falaises, où l'été des hommes jouent à se pendre et à glisser le long des tyroliennes.
Cela n'est rien, certes, mais préfigure ou prélude à l'ancrage d'un barrage, à la mort des-vallées.
Et la plaine se meurt, se languit des chais et des granges abandonnés. Aux horizons de béton,
leurs murs hybrides, de larges artères où s'engouffre un long serpent de fer, hydre de feu.
1 ère Écriture - En cours, au fil du temps de la déconvenue ! Quand l'homme de la Terre divorce ! Milema_Arte
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