LES BUCOLIQUES - VIRGILE -
Le poète s'adresse à Pollion, lui annonce la naissance, sous le consulat de son protecteur, d'un enfant qui ramènera l'âge d'or sur la Terrre ... Pendant son enfance et son adolescence, la terre d'elle-même produira des fleurs et des plantes et les bêtes féroces s'adouciront. Il restera encore quelques traces de l'ancienne perversité, causes de guerres nouvelles ! Quand il parviendra à l'âge adulte, le bonheur sera parfait. Le poète salue cette ère nouvelle et espère pouvoir la célébrer ...
Notes et Traduction de M.RAT
" Mantoue m'a donné la vie, la Calabre me l'a ôtée, et maintenant
Naples garde mon corps. J'ai chanté les pâturages, les campagnes, les héros. "
Épitaphe de VIRGILE
POLLION
Muses de Sicile, élevons un peu nos chants : tout le monde n'aime pas les arbousiers et les humbles tamaris ; si nous chantons les forêts, que les forêts soient dignes d'un consul.
Voici venu le dernier âge de la Cuméenne prédiction ; voici que recommence le grand ordre des siècles. Déjà revient aussi la Vierge, revient le règne de Saturne. Déjà une nouvelle race descend du haut des cieux.
Cet enfant dont la naissance va clore l'âge de fer et ramener l'âge d'or dans le monde entier, protège-le seulement , chaste Lucine : déjà règne ton cher Apollon.
C'est sous ton consulat, Pollion, que commencera ce siècle glorieux et que les grands mois prendront leur cours ; sous tes auspices, les dernières traces de notre crime, s'il en reste encore, pour toujours effacées, affranchiront les terres d'une frayeur perpétuelle. Cet enfant aura la vie des dieux ; il verra les héros mêlés aux dieux, ils le verront lui-même parmi eux ; et il gouvernera l'univers pacifié par les vertus de son père.
La terre, enfant, féconde sans culture, t'offrira pour prémices les lierres rampants avec le baccar et les colocasies mêlées à la riante acanthe. D'elles-mêmes les chevrettes rapporteront au bercail leurs mamelles gonflées de lait, et les troupeaux ne craindront plus les lions puissants. De lui-même ton berceau se couvrira de fleurs caressantes ; plus de serpents, plus d'herbes au poison trompeur ; partout naîtra l' amome d'Assyrie.
Dès que tu pourras lire les exploits des héros et des hauts faits de ton père, et connaître ce qu'est la vertu, on verra la campagne blondir peu à peu sous les moissons ondoyantes, la grappe rougissante pendre aux buissons incultes et les chênes durs distiller une rosée de miel. Cependant quelques vestiges de l'ancienne perversité subsisteront encore, qui pousseront les mortels à braver Théthys sur des radeaux, à ceindre les villes de murailles, à creuser des sillons dans la terre. Il y aura alors un autre Tiphys et un autre Argo pour porter une élite de héros ; il y aura alors d'autres guerres et, aux rivages d'une nouvelle Troie, on enverra un nouvel Achille.
Puis, quand l'âge affermi aura fait de toi un homme, le passager lui-même renoncera à la mer ; le pin navigateur n'échangera plus les marchandises ; toute terre produira tout. Le sol ne souffrira plus du hoyau, ni la vigne de la faucille, et le robuste laboureur délivrera ses taureaux du joug. La laine n'apprendra plus à mentir sous des couleurs variées ; mais, dans les près, le bélier changera lui-même sa toison tantôt en un suave rouge pourpre, tantôt en un safran doré, et un vermillon naturel revêtira les agneaux qui paissent.
" Filez de tels siècles ", ont dit à leurs fuseaux les Parques, d'accord avec l'ordre immuable des destins.
Monte, il en sera temps bientôt, aux honneurs suprêmes, ô fils chéri des dieux, rejeton puissant de Jupiter ! Vois tressaillir de joie et le monde à la masse convexe et les terres et l'immensité de la mer et le ciel profond ; vois comme tout l'univers se réjouit dans l'attente de ce siècle.
Oh ! puisse une longue vie me conserver encore assez de jours et de souffle pour célébrer dignement tes hauts faits ! Personne alors ne me vaincrait par ses chants, ni le Thrace Orphée, ni Linos, fussent-ils inspirés l'un par sa mère et l'autre par son père, Orphée par Calliope et Linos par le bel Apollon. Pan aussi, s'il me défiait, en prenant même l'Arcadie pour juge, Pan aussi, au jugement de l'Arcadie, s'avouerait vaincu.
Commence, petit enfant, à connaître ta mère par son sourire. Ta mère pendant dix mois a souffert de longs ennuis. Commence, petit enfant : celui à qui n'ont pas souri ses parents, n'est jugé digne ni de la table d'un dieu ni du lit d'une déesse.
VIRGILE
POLLION
Les Bucoliques - Chant IV
Édition GF
NB / La présente édition présente une abondance de notes qu'il n'est pas possible de restituer, ici, sur ce Site ; aussi, il convient de se reporter à l'Ouvrage.
La Sibylle de Cumes - Chapelle Sixtine par Michel-Ange
Muses de la Sicile, haussons un peu la voix !
Les humbles tamaris, les arbrisseaux, les bois
Ne sauraient plaire à tous ; ennoblissons nos chants,
Muses, et qu'un Consul se plaise à nos accents.
Les Temps sont révolus qu'a prédits la Sibylle :
Les siècles, dans leur course immuable et tranquille,
A leur point de départ sont enfin revenus,
Et le dernier de tous, l'Âge de fer, n'est plus.
Déjà revient Saturne, et la Vierge immortelle
Abandonnant les cieux reparaît parmi nous ;
Et les dieux, des humains cessant d'être jaloux,
Envoient sur notre Terre une race nouvelle.
Un Enfant doit bientôt au jour ouvrir les yeux ;
Souris, chaste Lucine, à sa venue au monde :
L'Age d'or va renaître et sur terre et sur l'onde ;
Déjà règne Apollon, ton frère glorieux.
C'est sous ton consulat, ô noble Pollion,
Que les hommes verront
Se lever des Grands Mois la radieuse aurore.
Des crimes du passé si persistent encore
Des vestiges cruels, ils iront s'effaçant
Comme un sillon tracé dans le sable mouvant ;
L'espoir luira de voir toute douleur éteinte,
Et le monde sera délivré de la crainte.
L'Enfant divin vivra l'existence des dieux ;
Il verra les Héros converser avec eux ;
Parmi les immortels lui-même aura sa place.
Héritier des vertus de son antique race,
On le verra, marchant, Pollion, sur tes pas,
Gouverner l'univers que tu pacifias.
Comme premiers présents, et pour charmer tes yeux,
La Terre, jeune Enfant, de son sein généreux
Épandra le baccar et la vigne grimpante,
Et la colocasie et la feuille d'acanthe,
Tout ce que l'homme heureux voit fleurir sans travail.
Les chèvres, sans berger, reviendront au bercail,
La mamelle pendante.
Sans crainte des lions, le long des champs herbeux
Les grands troupeaux de boeufs
Iront brouter les herbes odorantes ;
Ton berceau s'ornera des fleurs les plus brillantes.
Plus de poisons mortels ; plus de serpents affreux ;
L'amome assyrien va germer en tous lieux.
Puis, quand tu pourras lire au livre de Mémoire
Les hauts faits de ton père et des héros anciens,
Quand tu sauras, nourri de doctes entretiens,
Ce qui fait la Vertu, la Grandeur et la Gloire,
Alors l'épi du blé dans les champs blondira
Sans sa barbe piquante ; au soleil exposée,
La grappe du raisin vermeille rougira
Sur la ronce elle-même ; et, comme une rosée,
De l'écorce du chêne un doux miel suintera.
En ce temps toutefois, des traces, les dernières,
De notre crime ancien encor subsisteront ;
Les villes garderont leur ceinture de pierre ;
Les boeufs enfonceront le soc dans les sillons,
Et le marin des flots bravera la colère.
On reverra Tiphys, sur un nouvel Argo,
Conduire vers Colchos d'aventureux héros,
Et, pour punir l'orgueil et la rébellion,
Un autre Achille abattre une altière Ilion.
Quand l'Enfant parviendra dans la force de l'âge,
Le Bonheur et la Paix régneront sans partage.
Nul n'échangera plus sur les flots de la mer
Des différents pays les fruits les plus divers.
Généreuse et féconde en ses métamorphoses,
La Nature en tous lieux produira toutes choses.
La bêche et la charrue épargneront les champs,
La faucille les blés, la serpe les sarments.
Libres du joug, les boeufs ne feront plus que paître.
La laine ni le lin n'auront plus à connaître
Des apprêts mensongers ; mais, en broutant les fleurs,
L'agneau, dans le pré même, en verra les couleurs
Imprégner sa toison d'un merveilleux éclat,
Et le vêtir ou d'or ou d'un vif incarnat.
Tissez de vos fuseaux, Parques incorruptibles,
Les fils d'or du destin de ces siècles paisibles.
Et maintenant, ô Fils aimé des dieux,
Illustre rejeton de Jupiter vainqueur,
Aborde, il en est temps, les suprêmes honneurs :
Commande à la Cité ; sois juste et sois pieux.
Vois tressaillir de joie et la voûte des cieux,
Et la Terre et les mers ;
Vois comme en attendant le siècle radieux
Tout palpite et s'émeut dans le vaste univers !
Ah ! puissé-je en ce temps, au déclin de ma vie,
Garder encore assez de force et de génie
Pour chanter tes exploits !
Ni l'antique Linus, ni le divin Orphée,
L'un fils d'Apollon, l'autre de Calliopée,
Ne sauraient égaler les accents de ma voix ;
Pan lui-même, prenant pour juge l'Arcadie,
Le dieu Pan s'avouerait vaincu par mon génie.
Petit Enfant, commence à sourire à ta mère.
Ce sourire est le prix d'une longue misère :
Elle a pendant dix mois souffert bien des ennuis.
Qui n'a pas su sourire et ne fut pas aimable,
Le Souverain des dieux l'écarta de sa table,
Au lit d'une déesse il ne fut pas admis.
Traduction d'Henri Laignoux,
Petite anthologie de VIRGILE, Edition revue et augmentée, Firmin-Didot (1939) - pp.15-25