JE SUIS UN MATIN D'ETE ...
Le jour vient de se lever comme il se vêt de bleu. Le vent anordit, adonne *en fraîchissant et la mer sombre révèle de profonds tourments. Les mystères de la nuit ont regagnés les fonds abyssaux et mes souvenirs d’enfance. Mon petit port est un sablon doré, réconfortant, enchâssé de rochers érodés, engravés et baignés de la fraîcheur cristalline de l’eau matinale.
Le Mistral* délinée un horizon bleu turquin. Exalté en ses mirages de nuages il semble redoubler les ecchymoses du grand large. Sur une mer d’albâtre, les moutons et les crêtes écumantes, virginales dévalent à l'unisson le glacis des vagues. Ils orchestrent la vastitude ondoyée, le ballet des flots. Avec le souffle généreux du vent toute la mer entonne à l’infini les fredons inextinguibles de l’eau. C'est la lyre des vagues qui exulte. Depuis la nuit des temps, le grand bleu proclame l’aménité des rivages d’une Île en voyage …
Je lui réponds sans tarder posant mes yeux diluviés et fébriles vers l’autre rive, un cap redouté. Le coup de vent appelle et me convie au-delà des sources de la terre ; je deviens le pélerin ailé qui s'évade des jours brimés. Assoiffé d'azur, je m’éprends à chaque fois des philtres enivrants et effumés des vents et de l'onde. Leurs incessants lavis et camaïeux convolent, s'en reviennent de Hué *…
Mes doigts disent le trouble ; ils tissent sans habitude et avec précautions les attaches, sondent les liens et souquent les bouts de maintien de la voile au profil d’aile qui m’emportera bientôt à travers le vide pers de l'existence, au-delà : c'est l'absolu céruléen ! la grande énigme...
Je m'élance sur un modeste et humble esquif me perdant au-dessus des prairies sous-marines que recouvrent le voile retissu et irisé de la longue houle. Elle s’attarde puis s’égare vers quelques anses cachées. Entre la côte safranée et les bleus ivres de ciels et de mer, je m’imprègne de cette eau lustrale. Insatiable et gourmande, je la reçois comme un baiser. Les vagues oblongues achèvent leur croisière dans une féérie de diaprures évanescentes qui me fascinent et m’offrent la révélation de l’instant…
A l'assaut des rochers dolents la mer bat de vagues en vagues l’écume amère des pensées noyées et la pierre saigne comme elle pleure aussi la destinée tracée, le temps silencieux et sombre des grandes solitudes.
Mais aujourd’hui, je ne suis plus seul à croiser sur les cieux ! Je m 'échappe avec l’oiseau qui me rejoint aussitôt refusant le rivage pour un matin d'été, une éternité. Nous acceptons le large et l’immensurable dans la froidure aurorale de la mer intumescente parée de ses plus beaux atours. La scène qui s’offre à nos yeux et à nos regards complices subjugue. Je nous vois comme affolés aux limites de l'angoisse dans la bourrasque. Et tous nos regards convergent en ces aquarelles languissantes que le vol de l’oiseau et les sillages mélodieux du marin comblent lentement.
Il n’y a plus de limites dans le labyrinthe éthéré de la mer et du ciel. Tout est amalgame. L’oiseau qui accompagne cette fuite éploie ses ailes de séraphin puis trace dans l’azur les contours harmonieux, inventifs et surprenants de la liberté et de l’amitié. Un instant il joue de ses voiles saillantes, ralentit au-dessus de notre route, porté par l’Aquilon*; il me regarde, plongeant vers moi, furtivement, la prunelle de son œil perçant, son unique regard de jais satiné et de joie. Ainsi, il scelle peu à peu une alliance définitive. Un seul de ses yeux lui suffit à cerner, à honorer la promission du large. Il devine l’hôte intrépide glissant à la surface des flots. Dans le battement de ses ailes il tient un port de tête admirable ; créature altière et sûre, je t'admire..! Au-dessus des flots ton vol est audacieux ; le chasme se fait berceau. Il n'est plus qu'invites où l'enfance s'en retourne du jeu et de l'émotion. Et nous allons juqu'au bout ravir l'abandon innocent de nos confidences.
Je lui souris, j’ai envie de chanter cette liesse dans le silence sacré et convenu de la mer natale. Oui, clamer l’indicible élan et tant de métamorphoses qui nous rapprochent indéfectiblement en ces éclairs d’existence bleue Outre-Mer.
Ses ailes sont l’esquisse et l'épure osées de la perfection des siècles. Elles habillent le corps duveteux et profilé du migrateur solitaire. Cet immense petit être cauteleux* habite tout un ciel, s’approche de plus en plus de moi. Il touche le vent, caresse l’air, le dessine puis se laisse emporter par les rafales au ras des flots, au vent de toute chose et remonte brutalement, ose l’ellipse et l'orbe à l’abattée *. Je le perds de vue quelques secondes puis je le retrouve, bercé, oscillant derrière moi, sans effort au-dessus de l’éclosion interminable et sapide d’un sillage aventureux, éclaboussé d’étoiles de mer …
Le temps passe, partout sur la mer s’envolent des oiseaux, je reconnais les Puffins cendrés, les battements d’ailes lourds et puissants des Cormorans, la légèreté et l’éclat des Goélands. De petits messagers craintifs, voyageurs intrépides, risquent une traversée démesurée, j’ai peur pour eux.
Toutes les scènes du jour comme des actes convenus de la partition océane s’offrent ensemble en un tout indissociable, inséparable. Et mon être vulnérable les partage en esprit. Que suis-je ici si ce n'est l’infinie petitesse d'un corps terrestre submergé d’abondances ! Soifs étanchées à la source de ces splendeurs, emmené au large sur un voilier libre et doux à voguer, je ne suis qu'un matin d'été ….
C’est près d'un cap, entre deux Îles lointaines, que nous parvenons aux termes d’un périple inoubliable. En ces lieux esseulés la mer et la roche s’éclairent, s'égarent en d’ineffables ors et embruns. Evanescentes rêveries inlassablement recomposées. L’unissonnance des flots et des vagues lancés à la côte, la mer euphonique, symphonique réjouit nos âmes avides. Des perles émerudes ruissèlent, la roche safre et chamarée étincelle. La mer va nous séparer mais elle nous aura liés à toujours. En côtoyant la fin, il me semble que tout ce qui m'est si cher, s'accorde sur la mer et dans le ciel. Un univers qui est la source intarissable de mes inclinations, de mes affections, de mon amour.
...La mort en nous touchant ne nous détruit pas; elle nous rend seulement invisible, (Doctrine Indienne).
Je commanderai, je demanderai encore des mirages, des illusions à la mer, aux grains et à la tempête. J'espèrerai le soleil que les vagues étreignent passionnément sur la mer solitaire. J'attendrai languissamment les caresses roses et orangées du Levant qui viennent coiffer la chevelure des lames. A chaque fois, je serai prêt à franchir le pas !
Je retournerai un jour, un seul instant sur ces lieux de rencontres. Prendre, respirer la mer à grandes goulées d'embruns pour m'enivrer de fééries azurées …
3 ème Ecriture le 19.03.2012
Petit glossaire
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*Adonne : Bascule du vent favorable qui permet un gain important pour le Voilier qui louvoie, remonte au vent.
* A l’abattée : qui s’éloigne de l’axe du vent ; contraire : Auloffée .
*Aquilon : un vent frais qui vient du Nord.
* Cauteleux : ici dans le sens ancien du terme, c'est à dire : défiant, fin, habile.
* Diluviés : noyés.
* Esquif : il s'agit ici de la plus petite expression de la voile libre : le Windsurf .Voici un petit exemple.
*Hué : Province du Vietnam et ville connue pour ses Porcelaines et ses " Bleus de Hué ". Je découvrais ces Bleus, enfant, avant la guerre ...
*Mistral : Entre les îles de Corse et de Sardaigne, le Mistral est un Vent de Nord-Ouest
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Stylite de Granit qui n'a d'Humain qu'un profil d'ombre taillé par le temps. Il garde et renferme dans l 'obscurité des Siècles les Clameurs et les Tourments des grands voyageurs, des Galères, de l'Existence, le Chant des Sibylles et des Nymphes, chimères des jours battus, les colères sombres et rugissantes de la mer séparant les Mondes, comme pour les préserver des hommes
Entre deux Îles lointaines, au cours de nos centaines de milles qui font des milliers d'heures de navigation, aimées, j 'écris ce texte pour me souvenir. J'imprègne la mer de mes joies, de mes peines ; n'est-elle pas la seule compagne qui me comprenne et me prenne ? Je reviens inlassablement tutoyer la Tempête aux pieds des calcaires, des falaises aux socles du temps que tous les hommes craignent. Il n 'est de vérité que le temps qui passe et s'effrite dans l'eau et la mer...