UNE ÎLE EST EN PARTANCE
Dans la couleur rouge ou rose ou bleue les fleurs épanouissent une profondeur légère où la lumière entre à moitié dévêtue.
Joë Bousquet
Une île est en partance qui se dissout et se fond dans la mer en ce dimanche ceint des mille diadèmes du printemps. Je n'oserai dire la ressemblance, risquer un instant d'écorcher la longue liturgie du sacré, du divin à l'aube de la création et en ces nouveaux ravissements ; et pourtant ! il est tout autour de moi l'origine et la naissance muettes de la beauté, la vie en filigrane, ces fragrances bien réelles aux seuils lacérés de l'oubli et de la furtive apparence des choses qui vont sans importance aux yeux des cités.
Dans le silence solennel et les chuchotements de la brise, entre les doigts tendres des jeunes pins vagabonds qui se balancent le long du chemin, je vais à l'ombre des souvenirs sourdre une autre fois des mondes balbutiés, confier encore mon âme à l'élan irrépressible de la nature, aux clartés de la source, là-même où, louangeuse, elle proclame l'hymne nuancé de la durée et de la fidélité. La source qui m'ouvre la voie, élève si haut l'écho multiple de ce théâtre dans la jeune lumière symphonique, vers un seul point d'ultime rencontre.
Les rochers jettent ou risquent leurs ressauts vertigineux sur la mer Tyrrhéniènne ; ils saignent, s'abandonnent fertiles et harmonieux en se liant au bleu turquin des rivages embrasés et fleuris comme un ensemencement. Il monte de la grève l'effluve fiévreuse et odoriférante d'un maquis qui explose de joie. En ce chœur brisé de roches fauves, le printemps s'élève comme un plain-chant. Comment dire aussi le ruissellement euphonique de l'eau limoneuse qui dévale les premières heures du jour et nous confie les lacis d'une sente fraîche et discrète. Entre mer et montagne, de chaque colline, les filets d'eau improvisent le ruisseau, une cascade et rejoignent le fond mélodieux d'un petit val. Je vais par-delà les camaïeux verts et bleus que se partagent la terre, les arbres et l'azur. Les tombants délinéent à perte de vue la mer, découpent le ciel. Ils vont l'amble avec la houle et le vent de Borée répandre le sourire des vagues, l'onde lascive et envoûtante de Circée et de Nérée revenue des songes antiques, des îles Éoliennes ou de la mer Egée. Je les retrouve l'un après l'autre, égrenant ainsi les surprises, dispersant à volonté ma soif de curiosité et cette impatience, cette fébrilité à les retrouver si différents, éclatants de nuances et de parfums à chaque détour.
J'essaie de suivre mes pas, mes yeux sont ailleurs, mes pensées cavalcadent au-delà d'un regard et, je remonte l'orage des jours passés vers le petit col et le ciel bleu roi. Quel pouvoir, quelle force mystérieuse habite l'aura de l'eau capable de noyer le temps, de l'éteindre à la corolle de chaque fleur, de le garder intact au cœur prodigue de la solitude et des grands espaces vierges. Ne s'effondre-t-il pas, abdiquant soudainement au trou, à l'antre béante de la roche élimée, clivée, acérée, là-même où la bourrasque et le grain cinglent, meurtrissent le flanc prêté de tout ce qui demeure visible et passager.
Arrivé sur le grand plateau le maquis ondoie et se perd dans la profusion verdoyante des mamelons. Plus bas, aux clémences accordées de la terre primaire, de la terre lointaine, trois nappes temporaires tapissent et habillent le fond d'une vaste dépression d'origine volcanique qui retient et dissimule la vie jusqu'aux heures fourbies du soleil de l'été.
Au bout du chemin parcouru d'abondance, d'exhalaisons, la plus grande des trois nappes comblée d'eau s'étend et se répand majestueusement. Elle déverse,
surgi de nulle part, vers la mer, le flux bourbeux et fécond des pluies impétueuses, insolentes et toutes leurs promesses dorées de sablons et de vergers. Un couvert végétal a précautionneusement tissé la trame d'un partage foisonnant de l'existence et d'un univers impatient et secret qu'il m'échoie de côtoyer au bord d'une saison et du renouveau.
Au mois de mai, quand l'hiver lancera ses derniers regards de névés, il ne sera ici que dentelles, napperons colorés, étoffes ou mantilles fleuries, enfin le reflet palpable, odorant des milliards d'étoiles de la voie printanière et lactescente qui en cet instant m'est révélée.
Et c'est ainsi que je parcours un seul jour comme l'éternité, rejoignant l'oasis, l'îlot ou le refuge d'une traversée sans limite, l'émoi ébauché du repos éternel. Que dire, que penser de ce havre de paix quand seul le vol lent et majestueux du héron vient en caresser les contours adoucis. Il n'y a ici aucune dérive maligne, encline à heurter un chaînon, un lendemain, l'heureux dénuement de la nécessité ou de l'amour. C'est un tout qui renaît, l'indéfectible multitude bercée de hasards généreux y jaillit dans la subtilité et la délicatesse des heures assouvies, débordant des jours contenus et pressés après un rude hiver. Il me semble tendre alors les bras et donner la main non aux illusions perdues ou pour quelques aumônes en ces années infectées d'idoles et de fausses richesses mais pour lever le rideau sur la grande scène d'un temps qui ne saurait défiler ou s'enfuir, pour découvrir enfin le regard bleu de la mer dénudée, l'ocre de la terre festonnée sous le dais somptueux des cieux, des éléments qui m'emportent, me guident et me fondent comme leur fils ou une étoile qui jamais ne mourra en ce théâtre.
Une île est en partance qui m'accompagne, je lui doit tout, jusqu'aux parfums du frisson que je deviens à ses rives à chaque printemps et que je décris inlassablement avec la faiblesse de ma pensée.
2 ème Écriture le 10.04.2012
Inachevé, en cours
Une autre fois, quand les fleurs auront éclos, je vous conterai ce temps qui sur elles n'a pas d'emprise, qui fane sans aucune ride. Un temps qui garde le sourire indéfectible des choses simples et vraies de la vie, à partager comme les rimes du ciel, les louanges du hasard que j'habite un court instant, là, maintenant, après sûrement, et parmi vous toutes et tous