PENCHANTS NATURELS
Au fil de cette courte réflexion, je n’irai point condamner le talent de l’écrivain ni fustiger le génie et les nuances de la langue, les méandres et la richesse des genres littéraires comme celles de l’expression artistique dans son vaste ensemble créatif défiant le temps. Ce serait si présomptueux et déplacé. Non!, je m’exprime, osant de temps à autres quelques envolées, décriant aussi l’insoutenable creuset des siècles et des " credo " enterrés où viennent s’éteindre à jamais la flamme de l’esprit, mourir l’aventure unique des êtres qui forgent le temps et, jusqu’à un certain point, élèvent à la postérité. Et peu m’importe qu’ils fussent grands ou petits, célèbres ou oubliés! Je m’attarde en cours de route et je déplore le cours implacable d’un passé souvent honni, rappelé sans relâche dans l’engrenage d’un quotidien actuel qui ne saurait et ne pourrait encore prendre la scansion du bien et lâcher définitivement les rennes d'un mal foisonnant et déshonorant, cumulé.
Je vois là un décalage consternant qui affecte la pensée de l’homme; je me demande quelle force, quelles obscures injonctions l’enjoignent à se nourrir, à se gaver de ces passés impurs et décriés comme tels pour sceller ainsi son talent de conteur, d’affabulateur, ses capacités indiscutables de chef d’orchestre aux commandes d’un devenir déjà entaché, irrémédiablement rappelé à l'ordre des choses communes.
Dédales interminables et toujours cachés, distillés, de ce que fut la construction de la Civilisation, labyrinthes odieux des termes censurés de la Culture et de la Diversité, histoire galvaudée ou écrite à l’aune des puissants, le présent s’enlise, saigne, suppure. Marasme incontournable où le citoyen affligé arpente les sentes périlleuses et ardues de la conscience aux côtés des témoignages crus et horripilant de la grande nature humaine.
Jamais talents et verves n’auront été mis à jour sans précipiter l’un contre l’autre l’enfer et le génie, l’amour et la haine, la joie et la souffrance, la vie et la mort injuste et tragique, usant, jouant des opposés et des contraires comme d‘un phare dans la nuit des bateaux au milieu de la tempête. La grande œuvre spirituelle est là, pesante. Elle consacre, elle investit aussi le parcours de l’humanité, rattrapant par de subtils artifices et quelques exercices et lueurs de rhétoriques, le cours torve des penchants faciles et celui des inclinations abjectes de la nature humaine lâchée dans la tourmente et l'élan évolutionniste…
Et pourquoi ne pas rêver d’une autre écriture, vécue au présent, appartenant au futur antérieur, à un devenir prometteur et apaisant, pourvu d ‘espérances, capable enfin d’honorer l’âme et la grandeur du « Roseau pensant « perdu dans l‘univers à l'ère d'une réelle et massive déréliction?
Il aura fallu à l’homme, à chaque épopée littéraire et culturelle associée, tous les affres et les horreurs de l’histoire pour se livrer à cœurs saignants, à brides morales abattues dans la grand messe du récit et de toutes les formes d'expressions, des arts, comme si il lui eût été impossible de se révéler corps et âmes à la source du seul respect de la vie, de l‘acte fidèle au verbe et du verbe géniteur de vertus.
C'est ainsi que vogue l’aventure humaine embarquée de gré ou de force entre les rives de la destruction et celles de la création, déclinée en ces témoignages irréfutables des hasards et de la destinée, de la Providence marquée des sceaux irréfragables du dogme ou du pouvoir temporel belliqueux, égarée sur l’océan infidèle et traître des passions, des pulsions, de toutes les volontés de puissances à satisfaire dans le sempiternel inachèvement de l‘être. La fresque est planétaire, elle n'a qu'un temps; le passé lui suffit pour entraver et ternir tout futur meilleur. L''œuvre de la vie dépouillée du mal qui couve en chaque créature n'est pas encore au goût du jour! Entre génie et souffrance, l’animalité la plus féroce et l’extrême bonté, oscille pourtant et toujours le pendule de la conscience scandant le temps d’un intervalle chèrement défendu, le pouls de l’être individuel et social, de l‘esprit religieux et celui du patriote.
Et l’écrivain compassé, ne disposerait pas assez des mots, des subtilités de l’écriture, des fantaisies de l’imagination pour s’abreuver aux puits sordides de la cruauté avérée, des faux penseurs investis, d’un quotidien de larmes et de sang, de ces lendemains de chaînes et de baillons pour toutes celles et ceux qui vécurent et passèrent, épris du souffle généreux de la vie et de la connaissance charitable, inoffensive. Il faut que son talent dérive, s'englue bien souvent dans les arcanes de la médiocrité, d'un quotidien dépravé faussant les frontières d'un sujet pathétique...
C’est un fourre-tout, un marais fétide propice aux histoires les plus folles, le roman et les nouvelles s’emballent, voyagent, triturent l’au-delà d’un moi que l’on accepte malgré tout aux confins imagés et sublimés des jours silencieux, complices, grégaires, au terme d‘une morale ravagée et sentencieuse, portant plus loin le jugement de valeur à l‘apogée de l‘exclusion et des racismes les plus iniques, à jamais d‘actualité.
A qui ne réinvente encore mieux l’univers infernal des guerres, salissant et mêlant çà et là le seul sentiment noble de l‘amour impossible, éperdu sur le fil tranchant de l’existence, orchestrant les plus extravagants amalgames entre le cœur et les raisons d’états, la torture et l’enfermement, le tout à des fins commerciales. Le comble se poursuit, on se prendrait à croire que le jeune auteur vécut les drames, l’expérience tragique de ces milliers d’êtres condamnés à mourir pour un idéal de dignité, de légitimité. Des milliers de pages, des scénarios poignants, habiles, invitant aux plus sectaires des comportements partisans, écrivent en direct, dans le feu de l’émotion, du jeu ou de la mort l’issue trompeuse d’une intrigue, falsifient le cours de l’événement, renversent la donne des grands principes directeurs présidant à la construction bradée ou volée des Nations sous le joug et le fait colonial, avec en toile de fond les plus belles épopées de la pensées occidentale…
Oui, la grande comédie humaine, les utopies et les grilles passagères dans lesquelles on figera pour un temps la condition humaine, traduite et comparue à travers le prisme rétreint de la grande œuvre théâtrale, des essais, des pensées, de toutes les liturgies, des Écritures, des mythes fait recette et inonde la foire aux livres…
Comment et pourquoi un tel silence, bâti dans la profusion et la frénésie de l’avoir, de la richesse, s’est-il emparé de la Civilisation, la reléguant à des enclaves meurtrières disséminées, dissimulées sur la terre. On fait de la pauvreté et de la misère, du sentiment et de la détresse un terrain fertile servant les mécènes de la grande édition, de l’information de masse, leur donnant un terreau, une biomasse littéralement consommée et lucrative. Chacun y choisit son créneau; hélas! la réalité, les jours divulguent à n’en plus finir leurs sujets de terreurs, d’intrigues juteuses, de compromis indécents, de malversations, d’offenses à l’intégrité de l’âme et de l’esprit. On choisit le thème dans lequel on excelle, le plus porteur que l’on associe au genre plaisant de l’époque et à la mode et voici que s’ouvre le grand prêche édité, promis aux distinctions, à la notoriété, aux récompenses, à la consécration locale et souvent superfétatoire
Je vois des hommes réinventer la vie et la pensée profonde de Jésus, revoir aisément le message profond des grands penseurs de l’Extrême-Orient, épiloguer au sujet de l’Islam, tenir de grands discours sur la marche de l’univers et du temps, s’ériger en moralisateur tempérant les effets incontournables de l’évolution pour mieux en prévenir et en gommer d’un revers de manche les ratés et les bévues redoutables aux dépends des faibles.
J’aurais seulement préféré que l’homme s’adonnât aux récits merveilleux et éternels de l’amour et de la fraternité qui se côtoient depuis la nuit des temps comme la plus tangible et irréfutable preuve de la grandeur de l’esprit. Que la magnificence du génie humain ne fût point érigée et fondée sur le sang versé, qu’elle ne soit pas emmurée dans le temple austère, silencieux, tout solennel qu’il puisse paraître de l‘usage ou de la tradition exacerbée, du sacerdoce carcéral. Quelque ait pu être l’œuvre colossale de la citadelle ou du temple dressé, il ne parviendrait jamais à masquer, à étouffer le cri de la faim, celui du déracinement, de l’Holocauste, de la trahison insidieuse minant les ravines de l’âme et de la mémoire muette, du souvenir qui perle et sourd du fond d’un regard, revenant d’une vie de douleurs et de tous les déchirements. Et ce passif déplorable nous appartient, il est de tous les horizons, de toutes les fausses prophéties. Il a coudoyé les plus beaux évangiles, au cœur même des autels!
Certainement, on arguera du fait convenu et malheureusement avéré que l’existence balance entre le bien et le mal, que l’un n’existerait pas sans l’autre ou alors serait de nature à le réhabiliter, à l’inventer… Fadaises, balivernes, odieux expédients que ma révolte refuse, récuse et renvoie à toutes les philosophies et systèmes de pensées qui s’en réclament et qui fédèrent les raisonnements les plus obtus et inhibiteurs depuis les calendes.
Que la beauté du jour, que la lumière de la nuit guident nos pas vers la connaissance, la diversité comprise et aimée, qu’elle se fraie un chemin et une voie non à travers l’évocation pléthorique et stylée de la peine et du chagrin, de l’amère, de l’insaisissable gouffre du passé dans lequel nous moisissons tous sans espoir de rémission, comme rappelés dans le terrible rappel de la chute. Mieux vaut le torrent qui rejoint la mer unitive!
Écrivez, oui! relatez l’espérance que chacun porte en soi... Ne vous fourvoyez plus dans l’abominable fatras du détail et de la précision où l’on rivalise et l’on recule la limite de l’horreur, de la lâcheté, du mal infondé, reluisant de sang impur afin d’éclairer d’hypothétiques vertus conquises au nom d‘une seule et unique vérité, glanées à l’encan dans la grande arène de la dominance et de la nécessité historique d’état, au fond ravagé d’une cellule familiale . Question de choix!
Que viennent l’ère du sentiment et de la nature partagés, celle de la beauté et de la création puisées au fond de l’âme, sans autre profit immédiat que celui du respect du vivant, pour nous offrir enfin le devenir, la paix et le recueillement, le soir et l’aube pour toujours délivrés. Il y a dans l’univers, jusqu’aux étoiles et vers la plus infime parcelle de vie matières à s’émerveiller, à raconter, à témoigner sans le spectre de l’affrontement stérile, de la guerre devenue propre. En amont, il y a aussi la guerre intestine que se livre l‘homme contre lui-même, plus enclin à s‘oublier et résolu à ne pas la voir. Il ne la combattra pas de front, reléguant mensonges et dérives aux dépends de la conscience libre, dépossédée, affranchie de tous ses atavismes invalidants, brandissant les dangers de la masse!
L’homme, cette créature hybride, aurait-elle tant besoin, dans son combat pour le bien que lui dicte l’évolution, de la dialectique investie, pérenne et justifiée du bien et du mal? Serait-elle le seul référent, l’indicateur pertinent ou l’unique déterminisme capable d’engendrer la vie tout le long d’un combat contre la mort, imprescriptible justification raisonnable afin que l’homme meuble son temps, donne de surcroît un sens à sa traversée cosmique? En a-t-il du moins connu la révélation, en mesure-t-il toujours la portée et la chance quand ce n’est pas l’infortune meurtrière à souffrir une existence durant… Lui faut-il pour cela se complaire ou s’affaiblir plus encore dans les oubliettes, les égouts de la raison passée, des certitudes éphémères, à travers toutes les expressions travesties et dégradantes de l’égoïsme ou plus précisément de ces appétences dont il a fait les preuves, aux côtés de ses instincts féroces et incontrôlables de possession et de domination?
Mes questions vont bon train, je ne sais m’arrêter, le fil de mes pensées est sinueux, imprévisible. Mais je m’interdis de me laisser embarquer dans toute aventure relatée, frelatée déshonorant le réel, bradant l'avenir. A force de discernements, allant à la recherche de la connaissance dépouillée, de l’existant, du naturel, de la beauté, je résiste, je dénonce et n‘abdique plus.
Je souhaiterais autant que l’esprit humain, dans sa quête infinie de " suppléments d’âme ", fouille et investisse davantage l’imaginaire, un imaginaire à construire et en devenir, comme l’art qui émerveille et étonne sans exigences de retour, sans d'atroces marchés passés sur l'état de l'humanité assoiffée. Les semences d’un passé souillé n'y pourraient plus germer. Je rêve d’un avenir ou les embûches et les pièges, les faiblesses et la tentation vile et cupide ne seraient plus évoquées, embarquant enfin son prochain sur le vaisseau de la joie et de la justice des hommes, vers un bonheur à réinventer durablement.
Nous traversons une époque redoutable, une sorte de chemin de croix où l’homme s’abime au jour le jour, se nourrit des racines du mal et ne peut plus croître en conscience, s'épanouir. Il se multiplie à l’infini comme un rouage programmé au centre d’une mécanique implacable génitrice de matières informes et froides.
J’assiste à l’éclatement de la pensée, à la prolifération massive des moyens d’informations et je n’aurais jamais été aussi seul et démuni face à ces réalités, ces mondes bouleversants et contigus que je ne peux plus cerner, à l‘intérieur desquels je me sens étranger, presque impuissant.
Et cette propension infernale, insipide à se débattre au centre bâclé de la relation, de la ville tentaculaire, de l’opulence qui nous enchaîne dans la tour d’ivoire des temps modernes, cette phobie argentée de la chute inévitable, de la faute, du sentiment meurtrier de l’inutilité et de l’indifférence colportée en chœur, au cœur de chaque long métrage, de la violence sublimée, de si nombreux romans, des essais les plus documentés, de la dérision dont use le théâtre pour en minimiser l’affligeante portée. J’assiste, sans savoir où je vais, à la grande comédie de l’esprit. Les mots redisent, racontent les actes défunts, l'odyssée démunie de pensées ou de cœur. Ils reviennent lancinants, spectres tuant l’amour, chantant la haine, s’abreuvant aux sources intarissables et grandioses de la nature en guise de révélateurs, d’éclairages nouveaux pour enfoncer le clou ou la lance dans les chairs sacrées livrées en pâtures, aux visions, aux appétits désespérément humains.
Et pourtant, l'homme, n'a t-il pas su si vite devancer le mal, se prémunir de l'ineffable vérité de l'amour, juste et libre, faisant de chaque acteur, en esprit, la pierre angulaire du grand édifice de la vie, du temps et de la Nature, de sa possible révolution ?
Il plane à l'horizon une promesse d'être nouveau; on y décèle si près tous les ferments de la vérité. L'homme s'empresse tout autour, rassemblé, il ne peut ou ne veut s'en emparer de peur de renoncer aux facilités de l'instinct, aux privilèges du groupe, du clan, de la caste, du parti. Animal doué de raison, il en perd pour toujours, la prêchant à l'excès, l'espoir de vivre une âme affranchie et heureuse. Il persiste et se signe dans la grand messe de la pensée asservie aux actes de primaires nécessités
Je marche à côté du petit Prince, je suis le renard apprivoisé qu'on lacère et qu'on tue avec raison à côté du Temple
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La Bible, par Vincent Van Gogh