GERARD DE NERVAL ...
LAISSE-MOI
Non, laisse-moi, je t'en supplie ;
En vain, si jeune et si jolie,
Tu voudrais ranimer mon coeur :
Ne vois-tu pas à ma tristesse,
Que mon front pâle et sans jeunesse
Ne doit plus sourire au bonheur ?
Quand l'hiver aux froides haleines
Des fleurs qui brillent dans nos plaines
Glace le sein épanoui,
Qui peut rendre à la feuille morte
Ses parfums que la brise emporte
Et son éclat évanoui ?
Oh ! si je t'avais rencontrée
Alors que mon âme enivrée
Palpitait de vie et d'amours,
Avec quel transport, quel délire
J'aurais accueilli ton sourire
Dont le charme eût nourri mes jours !
Mais à présent, ô jeune fille !
Ton regard, c'est l'astre qui brille
Aux yeux troublés des matelots,
Dont la barque en proie au naufrage,
A l'instant où cesse l'orage,
Se brise et s'enfuit sous les flots.
Non, laisse-moi, je t'en supplie ;
En vain, si jeune et si jolie,
Tu voudrais ranimer mon coeur
Sur ce front pâle et sans jeunesse
Ne vois-tu pas que la tristesse
A banni l'espoir du bonheur ?
ROMANCE
Ah ! sous une feinte allégresse
Ne nous cache pas ta douleur !
Tu plais autant par la tristesse
Que par ton sourire enchanteur :
A travers la vapeur légère
L'aurore ainsi charme les yeux ;
Et, belle en sa pâle lumière,
La nuit, Phoebé charme les cieux.
Qui te voit muette et pensive,
Seule rêver le long du jour,
Te prend pour la vierge naïve
Qui soupire un premier amour ;
Oubliant l'auguste couronne
Qui ceint tes superbes cheveux,
A ses transports il s'abandonne,
Et sent d'amour les premiers feux !
VERS D'OPERA
Pages 86 à 89
Poésies et Nouvelles
Éditions Lattés - 1987 -
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Peinture Anne-Marie ZILBERMAN