LE FAIT COLONIAL...
On le dira jamais assez: le " problème corse " est politique pour la seule raison que les solutions susceptibles de le résoudre ne sauraient être que politiques. Une obstination farouche, inspirée par le jacobinisme le plus borné, guide les gouvernants dans leur définition d'une " politique régionale " dont l'inefficacité le dispute à l'hypocrisie. Rien n'est entrepris ou même pensé qui ne s'inscrive dans le cadre de la sacro-sainte République, une et indivisible comme il se doit ...
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Postulat intangible de l'immobilisme institutionnel dont l'effet le plus pernicieux est de " parcelliser " la question corse en l'amputant de sa dimension politique. Singulièrement dénaturé, voir aseptisé, le débat-alibi traditionnel sur l'avenir de l'Île ne retient que les seules données économiques, somme toute constitutives de ce fameux " mal régional " propre au territoire français. Appendice sous-développé ou excroissance délaissée - c'est selon - d'une France soucieuse d'affronter les défis du III ème Millénaire, du moins le prétend-elle avec ostentation, la Corse ne serait pour les technocrates omniscients qu'une région parmi d'autres que rien ne distinguerait, sinon le caractère de ses habitants et, pourquoi pas, l'étrangeté de ses mœurs électorales!
Les clichés éculés n'en finissent pas de sévir qui banalisent la revendication Corse en lui conférant aux yeux de l'Opinion française désinformée, je ne sais quelle connotation folklorique. D'ordinaire prolixes dans leur condamnation indignée des colonialismes étrangers ( les Anglo-Saxons semblent à cet égard particulièrement visés ... ) les médias " nationaux " manifestent une remarquable discrétion dans leur approche du problème corse: des faits bruts et grossiers sortis du néant, jetés ainsi que des défis insupportables et injustifiables, à la figure du citoyen responsable. Dénuée de toute référence historique, la présentation télévisuelle du fait corse n'est qu'un fatras incompréhensible de données tronquées et fragmentaires. L'information, ou ce ce qui en tient lieu, est à ce point caricaturée que tout l'effort d'objectivité y serait considéré comme un début de caution au " terrorisme " et, de ce fait, inadmissible. Une propagande déguisée y règne impunément qui aliène le jugement en donnant l'illusion de la plus parfaite objectivité. J'attends d'un directeur de programme télévisé l'acte de bravoure et de salubrité que constituerait une simple évocation de l'Histoire de la Corse au XVIII ème Siècle. D'éminents spécialistes, défenseurs attitrés des libertés malmenées et des peuple agressés, pourfendeurs des despotismes et des dictatures, y trouveraient à coup sûr l'occasion de couronner leur réputation d'humanistes! Car enfin, sont-ils encore nombreux, en cette fin de XX ème Siècle, ces peuples colonisés interdits d'existence pour la seule raison qu'ils ont été conquis vingt ans avant 89 ?
Oui, une occasion rêvée de se refaire une virginité... Gageons cependant, sans risque d'erreur, que les candidats ne serraient guère légion. L'Afghanistan, le Cambodge, ou le Chili sont des causes moins périlleuses à plaider.
Instauré par la violence des armes et l'achat des consciences, le fait colonial conditionne les rapports avec le continent, tant dans leurs implications politiques qu'économiques.
Raillé ou combattu, le nationalisme corse n'est pas né d'hier. Ses assises séculaires lui confèrent une incontestable légitimité historique en même temps qu'elles l'autorisent à dénoncer l'origine éminemment politique d'une situation archaïque de mainmise et de domination. Les grands principes révolutionnaires de 89 qui fonderaient, dit-on, la philosophie politique française, restent lettre morte dès lors qu'est posée la " question corse "
Brandi ainsi qu'un talisman, le dogme statufié de l' Indivisibilité de la République interdit que l'on s'y réfère. La liberté est née en 1789, les théoriciens de la Terreur n'admettaient guère qu'il ait pu être livrés, avant eux, de justes combats de libération. Confisquée, domestiquée, asservie aux desseins dominateurs d'une révolution cocardière, la liberté des frontons s'est parjurée en réprimant dans le sang, avec un zèle comparable à celui des régiments de Louis le XV ème, le rêve d'émancipation du peuple corse. Le temps à passé, la mémoire s'est atrophiée, les patriotes corses, dont on voudrait nous faire douter qu'ils n'aient jamais existé, ont perdu jusqu'au droit d'invoquer pour eux-mêmes la liberté politique!
Le feraient-ils du bout des lèvres que l'offense et la dérision leur seraient opposées comme pour leur signifier le mépris dans lequel on les tient. Persisteraient-ils dans leurs justes prétentions que l'accusation suprême de " séparatisme " les exposeraient aux rigueurs d'une loi désuète, inspirée de Saint-Just et d'autres " enragés " du comité de salut public ...
La liberté, la vraie, ne se divise pas, pas plus que la générosité qu'elle suppose ne se marchande. Ceux qui, du haut d'un piédestal, s'en proclament les protecteurs et en célèbrent les vertus le savent fort bien qui jettent l'interdit sur ce qui fonde la revendication nationaliste dans ce qu'elle a de plus profond et de plus actuel: la restitution au peuple corse, seule et unique communauté de droit sur sa Terre, d'une souveraineté politique intemporelle et, de ce fait, inaliénable.
La négation de cette souveraineté naturelle est l'élément constitutif majeur de Fait Colonial...
Le schéma est classique: on dépouille un peuple historique de sa souveraineté en lui déniant jusqu'au droit de s'en réclamer. On construit, aux seules fins de mieux l'ancrer à la puissance " protectrice ", une économie de dépendance totale dans le but inavoué de rendre impensable, au plan matériel et moral, toute volonté d'émancipation.
Fioriture obligée des déclarations de principes et d'autres articles de foi, le " décollage "économique alibi, cher à la classe politique insulaire, s'enlise dans les méandres d'un débat d'arrière - boutique vide de toute perspective d'avenir. Les orientations économiques retenues, parcellaires et partisanes, ne le sont que dans la mesure où elles confortent, pour les asseoir plus fondamentalement, les puissances politiques traditionnelles. Car les réalités sont bien plus simples qu'il n'y parait. L'économie insulaire, même réaménagée, fournit aux clans les moyens d'organiser l'assistanat, la dépendance et le trafic d'influences. La rareté ou la précarité des emplois, souvent saisonniers, l'usage systématique des recommandations monnayées permettent aux potentats locaux de tenir leurs " obligés ". Sans parler de pseudo réalisations économiques, souvent dispendieuses, que rien ne justifie, sinon la mégalomanie ou, plus prosaïquement, le désir du " Sgio " local d'exposer, en la matérialisant, son omnipotence!
Comment accorder foi aux ambitions économiques déclarées d'une classe politique qui puise dans le sous-développement ses raisons d'être et de prospérer? Dérisoires, les projets de développement qui en émanent ne sauraient être que dans des amas de correctifs ou de palliatifs fallacieux qui confirment le rôle de la Corse, terre de consommation et de colonisation touristique d'ampleur croissante.
Le sous-développement, avec ses corollaires: chômage entretenu, grévé de toutes les restrictions de circonstances, désertification des zones " suspectes " de l'intérieur, priorité aux secteurs improductifs de la distribution et du tout-tourisme cosmopolite- puissance économique des clans - n'est que la traduction économique du fait colonial. Il en est l'élément constitutif second, induit et obligé...
Bref, rien ne sera valablement construit en Corse, pour la Corse, qui ne suppose l'abolition préalable de ces liens de dépendance coloniale.
La République Paolienne ne doit rien à ceux qui l'ont sciemment précipitée dans le gouffre de l'oubli.
Eût-elle survécu aux despotismes dominateurs de son siècle qu'elle eût inspiré, à n'en pas douter, bien des combats de libération en Europe et au-delà. Forts de cette certitude, ceux qui, aujourd'hui, en célèbrent le souvenir, n'ont de leçon à recevoir de personne quant au bien fondé d'une exigence historique: la reconnaissance de la Nation Corse et de son droit à la souveraineté politique.
Les compromis institutionnels et les expédients économiques ne feront jamais que réaménager le " Fait Colonial " ... Sans plus!
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Cette réflexion, la libre opinion de Ghjorghju d'Ota, presque intemporelle tant elle s'inscrit dans les méandres troubles de nos réalités quotidiennes, vaudrait pour toutes les Minorités menacées, qui à travers le Monde, luttent pour leur survie, contre l'uniformisation et leurs droits imprescriptibles à disposer d'eux - mêmes, en qualité d'entités inaliénables du Patrimoine de l'Humanité.
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PIERRE-YVES ORTOLI