FEVRIER OU LES ANNEES RECLUSES
Le temps est froid, à la Tramontane si bleue ! La neige épaisse et bruissante des vagues avalancheuses embrasse les récifs. Les embruns volent, les crêtes écument emplissant d'albâtre le souffle inépuisable du vent. Au loin, vers le soleil levant, des îles et leurs dédales de rochers réfringents renvoient et multiplient à l'infini les écailles du soleil sur la mer argentée.
Je tremble, entre crainte et émerveillement, lentement je m'oublie ... La bise hale le Nord-Est en cinglant. Les cimes lointaines sont enneigées, des volées d'embruns m'assaillent au moindre accroc de l'esquif avalant les flots. Je le conduis avec cette assurance précaire qui me mène vers le large et m'élance sur la mer. Je sais que nulle part ailleurs je ne vivrais aussi intensément ces bordées esseulées et désertiques.
Exutoire ou catharsis dérisoires, je m'en vais noyer aux champs d'armoise et d'absinthe l'ivraie des masses et ses servitudes, ces poussières d'heures fracturées et disjointes, bannir enfin l'émiettement de l'être que l'espace et ses fragments de durées finiront par reclure au bout de l'ennui, de l'inévitable lassitude qui me guette partout et nulle part...
Février solitaire est comme un anniversaire, ce mois parsemé d'ecchymoses, avide d'espérances fragiles qui m'abandonnent peu à peu, un leurre vaincu par la jeune et tendre lumière des jours qui rallongent. D'un seul regard étoilé, brassant l'étendue des années, la mer révérée m'invite encore plus loin, ailleurs, à toujours.
Sans âge, telle l'illusion allégie du fardeau des foules, j'arpente et cours l'énigme de l'azur, marchant, voguant, divaguant sur les vagues, risquant ou osant une autre aventure sursitoire, quelques mirages de plus...
Mais renaître au vol libre, au souffle puissant et lourd des vents qui esquissent la plus audacieuse des roses ! emporté autour des quatre saisons et de leur Île choyée, quelles révélations, quelles offrandes s'offrent ici à mes yeux !
La mer, les vagues, les écueuils spumescents délivrent leurs parfums, c'est l'ivresse du grand bleu. Des chars de l'aube à ceux du couchant, je suis de l'inlassable caravane, des lacis fruités et bleus de la houle et de ses dunes lointaines, de la fruition émouvante du Tout ; il y a tant de beautés à cueillir. Et là, éclot le frisson de l'âme en son extrême dénuement.
La vie s'envole et vibre aux promesses ailées des sternes naines qui voyagent près de moi. Elles sont délicates, fardées et ravissantes. Je les admire, elles volètent dans le vent, cauteleuses, reliant dans le ciel ces terres promises et d'absolues vérités. L'essaim suit le guide ; où vont-elles, d'où viennent-elles ? Je les accompagne un moment, les perdant aussi vite de vue ! Mais empli de l'émoi originel et profond de la rencontre, je reste sensible à leurs blanches caresses . Je ressens intimement la pulsation merveilleuse et douce de la vie qui les anime. L'épure, inondée d'azur, vient à portée de ma voile; et de nos coeurs d'enfants, de ces enfants que j'ai déjà aussi perdus, monte en moi le sanglot de l'absence et de la vérité meurtries ...!
Au ras de l'eau, les puffins jouent, évitent les moutons, effleurent la crête des lames. Pas un seul coup d'ailes ne vient rompre le cours fluide de l'air et de l'eau. Ils passent près de moi, sans crainte, acrobates virevoltant au gré des rafales et réagissant à la moindre parcelle du profil qu'ils offrent au vent et que la risée retourne. Puis, soudain, une migration de canards sauvages trace sur le ciel bleu roi une flèche sombre vers le sud et ses douces clartés ... Les cormorans, moins audacieux, casaniers, vont de baies en baies quêter quelques quiètudes passagères tandis que les goélands tournoient haut dans l'azur et prolongent la litanie des ports gris, des chalutiers en partance et de l'hiver.
Je ne suis pas seul au vent de toutes ces îles inondées de silences nacrés, de solitudes moirées ; et si j'étais un instant de la partition pérenne et solennelle d'un jour, d'une année, d'un siècle, de l'éternité ? Marin, passager de la Bora, des Aquilons ou de la pluie, pèlerin dans la lumière confondue de l'éther et du grand bleu croisant au large de l'existence, évitant au grand jamais de sombrer, de naufrager au seuil de l'éphémère durée et du temps de vieillir !
A l 'horizon, un ciel sans nombre, immuable, nouveau... et l'amour éternel comme un lien indéfectible que les vents nouent et tissent entre les hommes. La mer y serait sa plus fidèle alliée offrant divinement aux saisons fécondes et fertiles toutes ses humanités, gardant et veillant en son sein d'immémoriales fortunes, l'orbe révolu, renaissant et tant de vertus abîmées...!
Espaces indéfinis, hallucinantes et épouvantables immensités figées dans leurs mouvances cosmiques, il est pourtant en chaque goutte d'eau un songe de terre à bercer, une pousse d'arbre à abreuver, un fruit que la brise, l'oiseau ou l'abeille rendent à l'éternité des Anges
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1 ère Ecriture : 24.02.2011
2 ème Ecriture : le 26 Mai 2011
3 ème Ecriture le 12.04.2012
4 ème Ecriture le 26.11.2012