OPARA MARINA ...
Quitte ou double, le pari ! non pas oser ni risquer mais un moment, oublier un peu... Admettre, espérer peut-être que l’on s’en remette à la mer et au flot : pour un temps, un instant, voir même à perpétuité ! qui sait ? Pourquoi ? Comment le dire quand le désir passionnel commande au réel, au moi, dans cet état d’abnégation totale où le prix même de l'abandon n’est plus qu’une vaine illusion, une gageure. C’est vrai, on arguera qu'il y aurait ici de déraisonnables desseins existentiels ; certes ! Une volonté irrépressible, inavouée mais résolue d’en finir avec les décours sordides de la déchéance, de la fin, de l’abjecte miroir aux alouettes de l’existence qui se consume si tôt dans la nuit de l'interminable hiver, dans l'obscurité des foules …
La mer tout autour et au loin ces rivages sanglants, ces caps qui se perdent en tombants, en vertiges radieux dans les immensités azurées. Au large, les ciels communient avec la vague et la vague épouse çà et là les linéaments de la terre sommitale des collines. On n'entend que le sifflement des galernes emportant vers l’infini toutes les migrations essentielles. Le tourment est fugace, l’éveil voyageur et la bordée vagabonde, labyrinthique ; il n’y a plus ici que le regard et l’indéfini, un univers à découvrir inlassablement, une prison dont on ne ferait jamais le tour...! Ah ! la sagesse ne s’y risquerait pas ou alors infusée de quelques brins épars de folie. Le ciel ou la conscience sont parfois au prix de toute privation et la récompense sera celle de la néantise, au terme de l'intervalle !
Arpents ondés de solitudes que le Bora glacé traverse et métamorphose, c’est ici qu'il convient d'élire, de choisir sa thébaïde. On y trace en silence les sillages d’une repentance à jamais flanquée des vilenies du sang, comme on subirait le poignard, par traîtrise, planté dans le dos de l’ami, du fils de l'homme, comme on tranche un lien vital. Aux jours de tempêtes ces refuges s’enfuient, s’éloignent inexorablement ; tel est le pacte consenti des éléments et des éclats d'îles égarés, à la dérive, tel l'embrun muet, un songe et ses silences …
Lointainement flottent et dansent l’appel du Levant, les volutes d’un dédale cyclopéen où les vents se dispersent, où s’essaiment les pensées sans frontières abandonnées à l'autre rive fuyant comme l’errance de l’humanité, insaisissables et secrètes à l’image des nuages et des bourrasques. La côte est si loin, le mouvement de l’onde déplace toute la mer qui semble respirer pareille au poumon de la terre. La longue houle tonne, vient se briser sur les hauts-fonds disséminés qui rampent sans limites, accourant comme si ils eussent déferlés ensemble près du rivage, aux pieds des falaises à moitié abîmées. Mais l’atoll sous-marin, le récif géologique en est si loin ! qui fascine, envoûte, rassure aussi le pèlerin, l’hôte, le passager de l’écume éphémère aux prises à tous les dangers sur la peau du Diable ...!
Oui, l'émerveillement, tous les charmes que la haute mer décline sans fin sont de faux amis ; mais ils sont loyaux.
En ces lieux, l’ubiquité est la roche, le sec, la dalle, le bloc subreptice qui découvre et sculpte l’onde ; l'ubiquité sont ces fonds damasquinés de tous les ors de la terre et du minéral engloutis.
Et soudainement, entre passé et avenir, ceinte de vagues rapides et inattendues, dévalant et remontant les pentes, la prairie marine éploie ses ailes blanches de vents. Puis le vaste lit des mers révèle la noce de la bise et des flots. Les profondeurs se confient, transparaissent, se livrent et se reflètent sur le ciel iridescent, auréolent d’émeraudes, de béryl et de jaspe l’azur mêlé qui ondoie et se prend à danser.
Une âme à la mer glisse en silence. Un tapis d’écume laisse à l’harmonie et à la symbiose fleurissantes le soin et la bonté de l’épargner, de la diriger. Pour un souffle, un accord, une note symphonique, récuser le sabre de l’écueil, de tous les écueils, tracer une Voie innondée de bleu, ivre d’absinthe, de myrrhe, de tout le nard de l’Orient.
On discerne parfois un poisson et son unique aileron pour gouverne, Icare blessé qui joue dans les airs en caressant le miracle de l’eau de toute une aile d'amour. Ils gravent à l'unisson, sur le parchemin des mers les rimes vagues et solitaires du poème de l’oubli, les quelques stances impassibles et sans appel d'une longue litanie, de la liturgie euphonique des Îles
Pensées d'un Vagabond / 1 ère : écriture le 15.03.2012
2 ème Ecriture le 15.04.2012