DISCORDANCE DE TAILLE
La mer est jeune qui revient au balbutiement des mondes les jours de tempêtes. Et vous ne m'en voudrez pas de choisir une telle scène azur et mouvante pour relater le cours limité de la vie, deviser de la concordance funeste des temps, de l'infidélité insidieuse d'un corps envers l' hôte unique qui pour une vie l'habite et le hante jusqu'au terme de la viabilité de l'être... fût-il au bénéfice du doute, du pari, du non lieu, de l'hérésie, cette concordance des êtres de chair et d'esprit dérange à travers le processus programmé de l'existence... Non pas que la durée pèse ou accable sur cette terre mais je devine comme une mésentente inacceptable, un paradoxe vital odieux qui commande à toutes les expressions projetées et divinatoires de la pensée, de l'âme, de la vie tout simplement épurée et que l'on espère éclairer à bout de souffle.
Pourquoi concéder à la vie, à l'évidence, à l'immuable le fait sordide de déchoir pour mourir?
N'y aurait-il jamais d'autres horizons possibles, se dessinant entre le défi implacable que nous lance la vie et l'idée même de Dieu, d'Eternel, de la Connaissance, où l'homme s'évertuerait à honorer la foi de l'ÊTRE, de l'ETANT, parmi les hommes et selon la Volonté de l'Esprit appréhendée comme fondement irrépressible et intemporel, Divinatoire !
Se jeter corps et âmes perdus dans le sombre et vaste registre de la mort programmée, comme l'expression la plus tranchante d'une finalité inévitable... Brandir le néant après la traversée de cet océan barré condamnerait l'enfant que nous sommes dès l'âge d'entrer en raison au nihilisme le plus abject; une vie dépossédée de toute vertu, de valeurs transcendantales. Le libre-cours aux penchants naturels dans leur acception pleine et entière d'immoralité et de sauvageries en seraient les ferments quotidiens...! Pour peu que l'on satisfasse sans vergogne et à satiété l'antre insatiable des besoins, des comportements de survie, de ces appétences ingérables vouées aux plaisirs, à la luxure, aux déraisonnables instincts de possession et de pouvoirs qui caractérisent si souvent l'espèce humaine...!
Consommer indéfiniment cette césure, cette frontière indécente, fatale et inéluctable au cours de l'existence signerait également une démission, une abdication prématurée de l'ordre de l'éphèmère, l'usurpation de notre libre arbitre par les forces intemporelles qui sommeillent en nous et nous éblouissent au point de ne plus rien comprendre, de douter, de juger, de régresser dès lors que l'on accorde quelques privautés de circonstances à l'une des entités qui nous fondent et nous mènent sans ménagement. Cela nous ramènerait-il pas vivre à moitié, de cette moitié amputée et inconcevable, privée des lumières et des révélations respectives de l'empire des sens, de celui des concepts en perpétuelle mutation ?
Faire allégeance aux seuls besoins, à l'univers des sens insatiables et prégnant reviendrait également à se vautrer dans le lucre et le plus primaire des épicurismes, des hédonismes et de la débauche; convenons que bien des destinées en ont savouré les délices, se hissant gaiement et sans tourments jusqu'au trépas, au-delà de tout et quoiqu'il en coûtât en vies humaines, d'esclavage et d'asservissement... Mais on ne voudrait plus de telles souillures, indignes de l'âme et de l'esprit d'aventure qui heureusement nous guide et nous porte au-delà de la conquête, de la volonté de puissance outrecuidante à l'échelle strictement humaine et fondamentalement déterminée à poser dans l'arêne du siècle son emprise dominante et réductrice...
N'être résolument, au seuil de l'inédisme, de l'hermitage, de la seule méditation, qu'un être de pensée, arguant du divorce irrévocable d'un corps honni et de ses atavismes plus que avilissants consommerait la négation même de tout principe élémentaire de réalité où l'homme en sursis ne se dédierait qu'à une longue litanie coupée des substrats terrestres. La contemplation, la méditation sont certes inhérentes aux penchants de l'âme mais elles ne pourraient subvenir à la survie, aux besoins de toutes les nouritures terrestres inévitables et salutaires.
Le dilemme est donc vertigineux ! entre la chair et l'esprit que tout semble opposer, il y a la vie irrémédiable, la mort irréfragable...! Il faut composer, espérer, lutter, vaincre, aimer, subsister et aussi vieillir ...! Il y a ces rapports dialectiques à construire, cette immanence prégnante des pôles majeurs de la vie susceptibles de hisser l'homme au-delà du roseau pensant et du moi haïssable, du Cogito ergo sum ...! Au diable l'égotisme plus enclin à la rhétorique qu'à la participation féconde et immédiate de l'acteur sur le système et ses circuits incommensurables de l'information nouvelle.
Le fait humain ne se distingue-t-il pas par cet aller-retour vital qui s'opère entre l'acte et la pensée, par ces activités réflexives qui reposent sur le fait réel et avéré et qui mène à l'essence en toute chose, hors du temps, comme une quête inévitable de vérités ? Bâtisseur de l'humanité, inscrit dans une intemporalité signifiante et gratifiante, l'homme s'engage dans cette vaste et éternelle retranscription de la pensée; il y laissera toujours les témoignages indéfectibles de ces noces entre le corps et l'esprit dès lors qu'il se tourne au-delà de sa propre fin. Il fonde ainsi son éternité, un passage providentiel sur cette terre ou indifféremment et tout aussi opportunément il en sillonne les arcanes, y entrant à la lueur des sens, aux lumières infinies de l'esprit, sachant qu'au coeur d'une nécessaire harmonie, il évolue, en symbiose avec le monde du vivant et des morts...
De nos ébats sans cesse rappelés à la chute, à la douleur et aux racines du mal coupées du ciel, ainsi pour étayer nos vies, C'est ce tout indéfini et flou qui orchestre encore une ère immature d'inachevèvement et de bévues. Un chaos, une pléthore, une boulimie d'activités qui occupent sans aucune pondération les époques qui passent, les précipitent vers des extrêmes effarants ! Pourquoi ? En vertu de quelle tutelle accepter aveuglément ou passivement que l'horloge boucle le tour du cadran sans possibilités de retour ni de rachats, aux confins de la déchéance ou de l'agressivité ! Horloges internes ou déterminismes primaires que le milieu réveille, révèle au coeur d'une dichotomie irréversible où le sujet agit aveuglément avant de penser, impulsif et intransigeant. L'homme qui se déchaîne tout en subissant à tors ou à raison, pour le meilleur ou pour le pire l'épreuve de la durée, de ses limites et de ses affects qu'il porte sur le visage de l'éphémère, partout en lui vers l'issue naturelle ou la maladie imparables, des extrêmes de la pauvreté à ceux de l'opulence ?
La vieillesse affecte-t-elle aussi profondément les espèces du règne animal ? serait-elle aussi repoussante que chez l'humain, aussi cruelle bien souvent ? Mais pourquoi donc clore ce parcours dans un tel état de déliquescence et de décadence avérées ou la maladie se taille la part d'un destin macabre et sans aucune concessions ? Y verrions-nous aisément une propension, une invite à conférer à l'existence une proportion fluctuante et inégale de spirituel qui manque? Serions-nous poussés à explorer ce supplément d'âme cher aux philosophes au fil de la vie et, qui parvient lentement au terme d'un processus de chair, parfois intact, au seuil de la sainteté. Outils parmi d'autres outils, s'adaptant au cours de l'évolution, nous emprunterions un corps, un vaisseau à la conquête du réel, l'espace reclus d'un intervalle, prisonnier d'un phylum déterminé et tutélaire ? Ainsi l'âme prendrait le large abandonnant son vaisseau vermoulu vers d'autres horizons porteurs et régénérant, inscrit dans la reconnaissance et les legs prodigues du passé ...
Informations millénaires engrangées, capables de générer l'esprit par ressouvenances progressives, serait-ce là l'inclination fertile de la vie ? indissociable de l'outil génial qui sous-tend ou abrite la genèse de l'âme et cette immatérialité à l'épreuve des temps?
Dictature ou prégnance du corps sur l'esprit ou bien l'inverse ? J'avoue que l'interrogation bouscule et dérange dès lors que nous nous acheminons par convois de générations vers le grand vide, le départ définitif... Où allons-nous ? Reviendrons-nous un jour, ailleurs, sous d'autres formes allégées du fardeau de vieillir, habituées à "s'user" à passer ostensiblement à la face des générations montantes ?
Multitudes des corps, des âmes, de l'unique où gouttes d'eau rendues à l'océan dans le vaste cycle, l'homme bâtit sa vie, en fertilise les champs, sème le temps et la durée. N'est-il pas aussi bien disposé en certaines circonstances à s'édifier en un seul être d'ultime complexion où le corps et l'âme forgent au-delà de l'existence la mémoire et aussi l'esprit de la grande aventure humaine... Ce corps que l'âme guide, cette âme qui prend corps, partout lorsque un brin de lumière et d'amour surgit de la pénombre et de l'ignorance.
Je sais aussi le corps et l'âme nouées, liées jusqu'à la douleur et l'abnégation, pris dans la lutte contre les éléments, la passion, en quête d'absolu et de vérité. Ce don ineffable de soi, poussé à l'extrême limite de la vie, si près de la mort, comme une preuve intangible d'amour éternel, de souffrance et de peine et qui font les grandes révélations de l'être, sans âge, humble et enfin devenu sage
Choix incommensurables de l'homme individuel s'abreuvant à la source de la connaissance vers la liberté mais, limites drastiques de l'homme social livré à une troisième inconnue : la Civilisation, le fait Culturel où l'homme pour l'homme fixe de dérisoires limites, d'injustes et de lourdes entraves !!!
Ce corps, objet et cible de toutes les douleurs, tortures et mutilations ... Cette déraisonnable et fragile entité par laquelle faire souffrir et douter l'âme comme la confirmation inique d'une prophétique déchéance ou malédiction. Chose malléable, aussi asservissante que conquérante, obstacle et barrage fréquent au cheminement de la pensée et de ses humanités. Monnaies d'échange, marché exécrable et infamant de la mort, chair à canon ou à vendre, parjure à l'idée même d'humain, le corps est en passe de dominer l'âme dans une lutte frénétique de la vie contre la mort, de la mort insidieuse pour un brin de vie supplémentaire. Car l'on ne pourrait châtier sans épargner la chair en ce théâtre repoussant de la Civilisation souillée, face aux scènes et aux actes intolérables perpétrées contre l'image de l'homme en tous ces états, à tous les âges, dont on perverti chaque jour la réalité biologique et morale, dont on mutile impunément tous les réseaux et les potentialités du fait culturel et humain
Et je vois, comme une balafre à visage humain encore s'ouvrir et saigner si près de l'âme. Partout l'inaccessible bonté chuter, une sale blessure dont l'homme se serait aisément guérie qui porte le nom blasphématoire de racisme et d'exclusion...!
Cette écoeurante engeance de la chair, de l'apparence sur l'esprit pérennisant dans l'opprobre et le sang la déchéance de l'humanité, l'idée même de la Civilisation et de la Pensée exclusive. Le divorce inommable du corps et de l'esprit, des couleurs et de l'harmonie des mondes
Il me semble plus que jamais que le Corps précède l'Esprit, comme si l'existence décomptée commandait à l'Essence même de la Vie
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A
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AUGUSTE RODIN
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